Sunday, June 14, 2009

Is-is & le Nom du Père


[Le texte hiératique de cette histoire a été publié d'abord en français d’après le papyrus de Turin (1869-1876) et authentifié par la suite. En voici le compendium :]

Isis était une magicienne hors pair fatiguée des millions d'hommes, plus lasse encore de son despote de Père. Alors elle méditait, se disant : « Si je pouvais posséder le nom secret de Ré, je pourrais me rendre bien plus puissante encore que le patriarche tous les jours assis sur son trône des deux horizons ! Il se fait adorer deux fois par jour, à son lever comme à son coucher, or sans moi que ferait-il ? Comment ferait-il la nuit, sans mes lumières ? » Un jour que le papa passait en grande pompe la bouche grand ouverte, il laissa couler sur le sol un filin de salive. Isis vite recueillit la terre mouillée du crachas paternel dans ses mains, la pétrit pour façonner avec cette pâte un serpent en forme de fer de lance ; elle posa délicatement la créature, immobile mais vivante, au beau milieu du chemin par où le grand Dieu était déjà passé et par où il devrait repasser pour aller se coucher dans son autre royaume.

Voici donc le Saint-Père de retour, accompagné de tous ses fidèles abrutis qui pètent & répètent « Amen », chantant des louanges au phara-héron, ô dieu-soleil incapable de voir où tu poses les pieds tellement ta tête est dans les nuages ! Blessé au pied (on ne dit pas lequel) par le serpent d’Isis, le dieu glorieux poussa un cri si fort qu’il ébranla jusqu'au ciel. Sa suite s'inquiéta, tous lui demandèrent ce qu’il avait. Hurlant de douleur, Ré ne pouvait Répondre ; ses mains tremblaient et ses mâchoires claquaient. Dans ses veines le venin brûlant commençait à inonder son sang exactement comme le Nil en crue (comparaison garantie d’époque).

Quand le dieu finit par retrouver ses esprits, il lui fallut bien reconnaître toute l’étendue de son ignorance. Le Très-Haut n'avait pas vu venir la Chose cachée tout bas sous ses pieds ni sa cause, la figurine faite des mains de sa propre fille ; il n’avait été sensible qu’à ses effets, un mal inconnu, qui le faisait souffrir bien plus qu’il n'avait jamais souffert. « Comment cela a-t-il pu m’arriver, à moi qui voit tout et sans qui rien ne verrait le jour ? J'étais venu voir mon œuvre, quand quelque chose m’a piqué, mais quoi ? du feu ? de l'eau ? Mon cœur est en feu, ma chair frissonne, tous mes membres tremblent. »

On convoqua alors tous ses enfants pour trouver un remède à la fièvre du Souverain. Isis vint elle aussi, avec sa bouche ensorcelante, qui peut même faire parler un mort. Eh bien, qu’était-il arrivé au Saint-Père ? Un serpent avait osé le mordre, une simple créature avait osé lever la tête contre son Seigneur ? « Père, laissez-moi faire : avec mon carquois rempli de formules secrètes, je vais vous ôter ce serpent de la vue ! Mais pour cela il me faut connaître votre nom, j’entends votre vrai nom, père ! Pas les différents surnoms que vos innombrables adorateurs vous ont donnés ici ou là sur cette terre si diverse. Non, je veux l’Unique, celui qu’il ne faut pas proférer en vain… »
Toutes les réponses du père sont à la fois vraies et fausses. Elles sont vraies pour autant qu'il est bien tout ce qu'il dit être : la clarté du matin juste éclos et la douceur du soir sur les îles, le démon de midi et la gloire du monde, Khépri le matin, Ré à midi, Atoum le soir ; mais Isis ne se laisse pas leurrer : « Tu ne m'as pas toujours dit ton vrai nom. Cesse de mentir, tu n’es plus un enfant. Dis-le, et le poison s'en ira, car seul celui dont le nom sera révélé pourra vivre à jamais » Le père n'a pas le choix. Le poison continue ses sombres desseins en s’enfonçant toujours plus profond, plus brûlant que la flamme de la fournaise. Sous la torture il finit par reconnaître ne pas connaître ce nom qui s’est caché si profond qu’il ne le voit pas. Il demande à Isis de porter son oreille contre son ventre, lequel porte son nom comme la mère son enfant. Isis vole plus que le nom du Père, elle dérobe la paternité du Nom au père. Et elle le fait en concevant une ruse, une invention invisible qui pourtant blesse à mort le génie du jour…


Le mot « Egypte », d’après Hérodote, signifie « la lumière aveuglante ».

Copuler par un homme dans la nécropole



"Copuler par un homme dans la nécropole.
Mes yeux sont ceux du lion, mon phallus est celui de Bebon. Je suis le Coupé. La semence est dans ma bouche. Ma tête est vers le ciel, ma tête est vers la terre. Quand j'ensemence, Celui-ci et Celui-là ensemencent. Quant à tout homme qui saura cette formule, il copulera toute la nuit. La femme aura du plaisir sous lui chaque fois qu'il copulera, toute la nuit.
Formule à prononcer sur une perle d'améthyste, sous le bras droit."

Rituel d'exorcisme antichrétien.


Le texte est à dire sur une figurine d'ennemi de cire ou d'argile. On utilise aussi un papyrus vierge sur lequel on écrit son nom et celui des siens avec de l'encre fraîche. Ses membres (sa bouche d'abord) doivent être scellés d'un sceau portant la marque de l'ennemi. Le texte se termine par une formule, très courante dans le corpus médical, garantissant l'efficacité du rituel comme s'il s'agissait d'une prescription médicale. La figurine devra alors être enterrée dans un "lieu d'exécution".

D'après Magie et Magiciens dans l'Egypte ancienne d'Yvan Koenig (Pygmalion, 1994)