Sunday, March 28, 2010

Fable de l'hirondelle et de la mer.

Cette légende, nous dit-on, était la dernière de quatre exercices, écrits en démotique, composés comme des modèles sur une jarre trouvée au musée de Berlin mais détruite pendant la Seconde Guerre Mondiale. Elle date de l’ère romaine, premier ou deuxième siècle avant J.C. Ces modèles de lettres sont un monument de l'éducation égyptienne depuis le Moyen Empire. Classé comme lettre satirique, cet exemple va pourtant au-delà du genre. En effet, ici, c'est le pharaon théoriquement inattaquable qui est la cible correspondant à la description du tyran Cul-fut dans le papyrus W.C. Son nom n’apparaît pas dans le papyrus qui se trouve à la Bibliothèque nationale de Paris. L'imagerie centrale de l'immensité du désert et de la mer en termes de mesures ordinaires apparaît dès l'hymne d’Amarna qui lui-même précède le concentré d’Isaïe 40:12. De telles histoires ont aussi influencé les légendes grecques tardives attribuées à Esope. De plus, la même viande ou peu sang faut apparaît dans la littérature rabbinique du quatrième siècle, comme dans le Penchera-Tentera des Indes Galantes, qu’on s’accorde à dire d’athée du VIe siècle. La notice de l’édition critique signée R.K.R conclut que c’est seulement en 1912 que la cohérence des trois sites est devenue évidente, car en dépit de son importance, cette fable était restée absente de toute anthologie sérieuse.

Lisons donc la pétition du chef du pays des rabbis devant le pharaon : « Qu’a bien pu vouloir dire le Pharaon, quand il a déclaré : « Je vais dévaster l’Arabie » ? Pensait-il dévaster un paradis ? Approche-toi, pharaon, et écoute l'histoire de ce qui est arrivé à l'hirondelle qui a donné naissance au bord de la mer. Alors qu'elle allait et venait pour trouver de quoi nourrir son petit, elle dit à la mer : surveille bien mon petit jusqu'à ce que je revienne ! Or il arriva un autre jour où l'hirondelle allait selon son habitude quotidienne chercher de quoi nourrir son petit, et où elle demanda à la mer : « Surveille le petit pour moi jusqu'à mon retour en accord avec mon habitude qui me pénètre chaque jour davantage ». Mais ce jour-là, il arriva que la mer s’était levée de mauvais poil, et même qu’elle était démontée et déchaînée, de sorte qu’elle emporta dans la fureur de ses vagues le petit de l'hirondelle, et qu’elle le noya au fond de ses flots. Sur ce, la mère revint la bouche pleine et les yeux contents, ronds comme des billes. Mais elle ne trouvait plus son petit. Elle dit donc à la mer : « Rends-moi le petit que je t'ai confié, sinon je te jure que je vais t’écoper jusqu’à ta dernière goutte et te déporter avec moi au pays d'à côté qu’est tout sec et désert, et au retour j’irai porter dans mon propre bec le sable du pays d’à côté pour le jeter sur toi, sale mère de mer de… » Sur ce il arriva que ce fut la coutume de l'hirondelle, l'habitude qu’elle disait. Elle remplissait d’abord sa bouche avec du sable des environs pour aller le jeter à la mer. Ensuite elle remplissait sa bouche avec l'eau de la mer qu’elle allait larguer sur le sable du désert qui la buvait avant même qu’elle n’ait eu le temps de s’y poser. Mais ainsi continuait l’hirondelle, jour après jour, à boire la mer. Y serait-elle parvenue, alors, mon bon pharaon, le désert serait à jamais dévasté, rayée de la carte l’Arabie. »

Saturday, March 6, 2010

la parole humaine est comme un chaudron fêlé

Je dois dire adieu à Flaubert puisque vient la césure de printemps (spring break), et que de toute façon la littérature n'est même plus de nos jours éteints ce qu'elle était pour l'ermite de Croisset, à savoir "un terrible godemiché qui m'encule et ne me fait même pas jouir". Soit dit une fois pour toutes, je ne donnerai pas mes sources, je n'ai pas à les produire, n'ayant absolument rien à vendre ou même prouver. Qu'on aille plutôt relire le chapitre V de Bouvard et Pécuchet, ou même Madame Bovary: « Il s’était tant de fois entendu dire ces choses, qu’elles n’avaient pour lui rien d’original. Emma ressemblait à toutes les maîtresses ; et le charme de la nouveauté, peu à peu tombant comme un vêtement, laissait voir à nu l’éternelle monotonie de la passion, qui a toujours les mêmes formes et le même langage. » Et pourtant, même dans le vide des métaphores les plus vides, passe un air de folie "à faire danser les ours": « …comme si la plénitude de l’âme ne débordait pas quelquefois par les métaphores les plus vides, puisque personne, jamais, ne peut donner l’exacte mesure de ses besoins, ni de ses conceptions ni de ses douleurs, et que la parole humaine est comme un chaudron fêlé où nous battons des mélodies à faire danser les ours, quand on voudrait attendrir les étoiles. » (E.B., p.259).