Wednesday, December 3, 2014

Les trois facteurs de vérité de l'ego cogito

On n’a jamais fait attention au contexte dans lequel naît l’ego cogito. Trois facteurs sont pourtant présentés par Descartes lui-même :
Premièrement, l’ennui (le manque de conversation, particulièrement) résultant de la paix forcée car Descartes est un homme d'armes, il fait la guerre comme un gentilhomme, c'est-à-dire pour parcourir et pratiquer commodément le monde dans sa diversité (et distraction).
Deuxièmement, la solitude : Descartes étant un homme du monde ayant envoyé promener tous les livres qui lui semblent tous entachés de superstitions médiévales, scolastiques et absconses, entend arriver à la vérité tout seul ; il s’isole donc dans un poêle (à rapprocher de la cuisine-foyer d’Héraclite) parce que célibataire en hiver grelotte deux fois plus et que la pensée exige des constitutions fortes alors que son corps se sent frileux et douillet — ce qu’ignorait la reine  Christine qui l’acheva en le faisant sortir de sa chambre par moins 20, à 4 heures du matin, un jour de février. Fin du noble Descartes, qui refusa jusqu’au bout l’aide des médecins-charlatans ou vautours, et dont le dernier mot recueilli ou inventé fut : « ça, mon âme, il faut partir ». Il faut bien.

Troisièmement, la méditation à partir de rien : c’est là qu’il découvre la différence : la pensée n’a pas d’étendue spatiale ; conclusion, un peu précipitée, tout le reste (le matériel) n’est que de l’étendue ; donc le penser se situe du côté du temps et tout le reste dans l’espace, mais cette schizophrénie (appelée en philo « dualisme ») mène à la dé-corporation : ce qui arrive partout quand le corps est réduit à une machine. Et comme l’âme ne fait plus partie du vocabulaire « scientifique » acceptable (du dogme), il ne reste plus que des machines. A tuer, à décerveler, embrigader, siphonner, tout sauf penser : exit donc ego cogito – plus d’ego, rien que des inégaux ; plus de cogito, rien que des couillons.  

Thursday, October 30, 2014

Les voix des rives errent




79        (DK B12, M40.)

ποταμοῖσι τοῖσιν αὐτοῖσιν ἐμβαίνουσιν
ἓτερα καὶ ἓτερα ὒδατα ἐπιρρεῖ

« Sur ceux qui entrent dans les mêmes fleuves,

des eaux autres & autres déferlent. »


Monday, October 27, 2014

Il est là



Du coup y a plus de légende. Tant mieux. 

Wednesday, October 22, 2014

An die Verstummten


Hure, die in eisigen Shakern ein totes Kindlein gebärt.

Georg Trakl, "An die Verstummten"

Friday, October 17, 2014

Thursday, October 16, 2014

Thursday, October 9, 2014

Dix ans après la mort de Derrida, le feu d'Héraclite vit toujours.

96        (DK B27, M74.)

ἀνθρώπους μένει ἀποθανόντας ἃσσα οὐκ ἒλπονται οὐδὲ δοκέουσιν.

« Les hommes, il leur reste, morts, des choses qu’ils n’attendent ni ne s’imaginent. »

Le premier verbe signifie aussi bien "rester" que "attendre" (sens du second verbe: le grec ne connaissant pas la notion subjective d'espoir). Par conséquent, les hommes (terme presque toujours négatif, surtout au pluriel), les attend ce qu'ils ne peuvent par principe jamais attendre et a fortiori s'imaginer. Même si le fragment est cité par Clément d'Alexandrie comme un témoignage d'une vie après la mort (et d'un Jugement Dernier), toute interprétation religieuse (chrétienne d'abord, les Juifs ne croyant pas à un au-delà) est inepte. Les hommes une fois morts deviennent des simples "corps" ou cadavres, et c'est encore moins appétissant que les excréments, comme dit un autre fragment: 

56        (DK B96, M76.)

νέκυες κοπρίων ἐκβλητότεροι

« Les morts [sont] plus abjects que les merdes. »

κοπρίων désigne le tas de fumier, pas loin de kopros, l’excrément, la merde (humaine), le caca : dans ces conditions, n’honore-t-on pas des fumiers en guise de héros « morts pour la patrie » ? Le culte rendu aux combattants tués à la guerre, sur les champs de bataille d’Arès, n’est-ce pas une forme de coprologie ? Si tous deux puent, seule la merde est naturelle, alors que le cadavre ne l’est pas, du moins pas entièrement. Le cadavre ne saurait se réduire à de la matière organique en décomposition; le terme grec employé, « nekues », ne saurait non plus se traduire sans violence par « cadavres »: la NEKUIA de l’Odyssée n’est pas une visite à la morgue ! Achille n’est pas un cadavre, autrement il ne saurait répondre à Ulysse parce qu’il n’aurait pas de nom. C’est pourquoi la plupart des tombes portent au moins le nom du mort inscrit sur la dalle ou la plaque funéraire. Or Héraclite n’accepte plus la vision homérique de l’Hadès. Donc « Il faut écarter les cadavres plus encore que l’ordure », et dans ces cadavres Héraclite a déjà rangé les glorieux ancêtres. Sa parole fait irruption comme la foudre qui brise la continuité illusoire du temps comme succession (une succion, plutôt). Mais en même temps qu’elle rejette les cadavres, cette même parole accueille « la » mort comme l’éveil à la clarté de la distinction pure. Le feu ne se contente pas de consumer, il purifie. Cette purification n’a rien d’une sacralisation, car il n’y a rien au monde qui ne soit pur sans être passé par ce feu — un feu un & commun qui s’échange contre toutes choses comme les marchandises avec l’or et vice-versa.

Sunday, October 5, 2014

Sauf Un




Un est la folie des prêtresses qui s’en vont leurs robes ouvertes sur leur sexe brûlant dans la nuit sacrée danser.

Car Dionysos et Hadès sont un et le même. Ceci est un fragment apocryphe authentique.

L’un demeure à part – c’est pourquoi il ne peut pas être Zeus ou "Dieu" (nom commun) : pas en vue, pas visible mais sauf : le philo-sauf, c’est l’ami du sauf, et pas du sot tout court. L’enjeu n’est pas de se conserver, ni nécessairement de sauver les phénomènes, comme dit Aristote : pourquoi tenir aux apparences ou même aux manifestations ? de rage ? Qu’y a-t-il de si urgent à « montrer » ? Est-ce qu’à montrer on ne fait pas tout le contraire de garder sauf ? Du coup, facile d’accuser le philosophe d’insensibilité. Ou d’indifférence. En fait, il se soucie seulement de garder sauf l’un, pas même de le nommer, autrement qu’avec ce « sauf » qui n’est pas un nom.
Sauf exister… Héraclite ne parle pas ce langage (exit le latin) mais il pense la temporalité de l’existence selon une mesure d’une extrémité à l’autre (l’extension maximale entre vie et mort), et non selon une chronométrie ou chronologie. Sinon, la voix de la Sibylle ne porterait pas jusqu’à un millénaire au moins. Et Héraclite ? Pensait-il que son « Livre » allait porter encore plus loin, jusqu’à « nous » ?
En to sofon: Il est insensé de détacher l’Un du sophon : car c’est bien cela, le sauf le sachant. Il y a bien la dimension du savoir et pas juste l’intégrité. C’est même le savoir qui fait tout un. Ce n’est pas un savoir « au sujet de… », mais une façon de s’y prendre avec tout, et d’abord pour que ça fasse un tout. Un rapport, si toute idée de rapporter (des revenus ou des résultats) est écartée ; comme ce n’est jamais tout à fait possible, mieux vaut parler de « tenir » et de se tenir par rapport à… ce qui « habite » là mais ne tient pas à se montrer (comme un simple habitant).

Conjuguer un-tout et un-qui-nique-tout car un-tout est tout autre que juste un ou même que tout, et donc il ne peut être compris par rien puisque c’est lui qui comprend tout. Un livre de ce tout (qui nique tout) ne sera jamais qu’une traduction, une traversée en solitaire qui au milieu de tout reste séparé de tout, à part et pourtant là, au beau Milieu de Nulle Part car où diable sinon crècherait-il ?

Friday, September 12, 2014

Grodek, 11 septembre 1914

GRODEK

Au soir les forêts d'automne résonnent
D'armes de mort, les plaines dorées
Et les lacs bleus sur lesquels un soleil
Plus lugubre roule; la nuit couvre
Les guerriers mourants, la plainte sauvage
De leurs bouches fracassées.
Mais calme se rassemble dans la saulaie,
Nuée rouge où habite un dieu de colère,
Le sang versé, froid lunaire;
Toutes les routes finissent en une noire déroute.
Sous la nacelle d'or de la nuit et des étoiles,
Vacille l'ombre de la Soeur par le bosquet silencieux
Pour saluer les Esprits des valeureux, les têtes sanglantes;
Et tout doucement jouent dans les joncs les flûtes d'automne.
O deuil d'acier! à vos autels d'airain
La flamme brûlante de l'Esprit, la nourrit aujourd'hui une douleur si forte:
Les générations ingénérées.


  1. Georg TRAKL 

Tuesday, August 5, 2014

écrire sans écrire, bis

Aujourd’hui (samedi 15 octobre 2011) :

A la question qu’on pose inévitablement à tous les enfants : Que veux-tu faire plus tard, dans la vie ?, comme s’ils n’y étaient donc jamais entrés, dans la vie, la vraie vie où faire s’entend d’embrasser une profession comme de professer ou de confesser son « inhabileté fatale », j’ai toujours réussi à tromper mon monde. « Je ne suis pas voyant » était ma manière régulière de désarçonner l’interrogateur. J’avais déjà en horreur les questionnaires ou interrogatoires, tous procédés policiers – toute enquête étant toujours plus ou moins criminelle. A ce jeu des questions-réponses, je savais que je serais toujours perdant : a) si je réponds comme je l’entends, personne ne va m’entendre ; b) si je réponds à côté, ou en adoptant une position que je sais fausse, je serai vite tenu pour un imposteur ; c)  si je ne réponds pas, on va me lyncher.

En tout cas, je n’ai jamais donné comme réponse « écrire » car je vois trop bien que c’est le contraire de faire quelque chose – de bon, d’utile ou même d’agréable. Pourtant c’est à peu près la seule chose que je sache faire, en même temps que cette chose a bouleversé, chambardé, affolé toute question sur ce qu’il y aurait à faire, et même sur ce que c’était que faire, ou ne pas faire : peut-être rien du tout ? Ou tout du rien?

Maintenant que tout le monde se sent presque obligé de poster ou plutôt de postillonner ses moindres états d’âme ou plutôt d’inanité, c’est de cette obligation d’écrire (« nulla dies sine linea ») que je me sais absolument délivré, donc libre de faire autre chose. Ecrire, ce serait d’abord faire autre chose – qu’écrire, simplement, sans plus. En tout cas, faire autre chose que communiquer. Ce serait plutôt niquer toute communauté donnée comme évidente, déjà là, avant le faire qui est toujours un faire-avec, c’est-à-dire aussi faire sans rien avoir en commun, rien qu’une langue, et encore…à peine en est-ce une.

Saturday, July 12, 2014

Saturday, April 5, 2014

Misérables riches

Héraclite, Fragments du Même (38).       DK B125a, M 106. Tétzès, Commentaire du Plutus, 90a.


μὴ ἐπιλίποι ὑμᾶς πλοῦτος, Ἐφέσιοι, ἳν’ ἐξελέγχοισθε πονηρευόμενοι.

« Que la richesse ne vienne jamais à vous manquer, Concitoyens, afin que sous soyez convaincus d’être des misérables. »