Monday, August 10, 2009

Hypatie la vraie Cathare d'Alexandrie


L'historien chrétien Socrate le Scolastique rapporte dans son Histoire ecclésiastique (vers 440) : « Il y avait à Alexandrie une femme du nom d’Hypatie ; c’était la fille du philosophe Théon ; elle était parvenue à un tel degré de culture qu’elle surpassait sur ce point les philosophes, qu’elle prit la succession de l’école platonicienne à la suite de Plotin, et qu’elle dispensait toutes les connaissances philosophiques à qui voulait ; c’est pourquoi ceux qui, partout, voulaient faire de la philosophie, accouraient auprès d’elle. La fière franchise qu’elle avait en outre du fait de son éducation faisait qu’elle affrontait en face à face avec sang-froid même les gouvernants. Et elle n’avait pas la moindre honte à se trouver au milieu des hommes ; car du fait de sa maîtrise supérieure, c’étaient plutôt eux qui étaient saisis de honte et de crainte face à elle. »
En mars 415, à 45 ans, elle meurt lapidée par des chrétiens fanatiques. Selon la thèse de Socrate le Scolastique (vers 440), les chrétiens lui reprochaient d'empêcher la réconciliation entre le patriarche Cyrille d'Alexandrie et le préfet romain Oreste à la suite de conflits sanglants entre diverses communautés religieuses d'Alexandrie. Selon la thèse du philosophe néoplatonicien Damascios (en 495), l'évêque aurait découvert par hasard, en passant devant chez Hypatie et en voyant la foule qui s'y pressait, la popularité de la philosophe. Toujours est-il qu'elle est arrachée à sa voiture, entraînée dans une église, siège patriarcal, consacrée à Saint Michel, appelée le Caeserium quand l'édifice était le centre du culte impérial à Alexandrie. Hypatie est déshabillée, tuée à coups de tessons, mise en pièces. Ses restes sont promenés par les rues et brûlés.

hagiographie

C'était une jeune chrétienne de la noblesse et donc bien éduquée qui se présente à l'âge de 18 ans à l'empereur romain Maximin lequel se livrait comme ses prédécesseurs à son jeu favori, la persécution des chrétiens. Mais la future Sainte avait des couilles en or massif philosophale pierre ponce tout. Au Maxi minus elle fit un sermon en lui montrant la futilité de ce passe-temps qui en fait servait la cause des chrétiens trop contents d’être martyrisés et ainsi d’attirer l’attention des media avides de cirque & showbiz. Ce que la légende ne dit pas explicitement mais qu'on peut déduire de son lieu de naissance, à savoir Alexandrie, il y a de bonnes chances que Catherine ait été une sorte de marrane à des siècles d'avance. Son origine noble et égyptienne entre en contradiction flagrante avec la condition sociale brute des esclaves qui fournissaient la majorité des troupes de la nouvelle religion hégémonique utilisant des techniques de conditionnement des foules depuis modernisées et perfectionnées au benzène. Mais la singularité de cette figure unique dans l’histoire ne tient ni à la condition sociale ni même à une sorte d'idéalisme révolutionnaire qui serait ici singulièrement anachronique. Encore moins de féminisme mais lisons plutôt la suite : « Abasourdi et insulté par l'audace de la jeune femme, mais manquant des talents requis pour discuter de logique formelle avec elle, l’Empereur la fit enfermer dans les cachots de son palais ; puis il appela tous ses savants et tout ce qu'il avait pu rassembler de suppôts supposés savoir pour qu’elle soit convaincue d'apostasie à l’envers ou l’enfer de la foi chrétienne ; en la convainquant d’avoir commis une hérésie contre la religion romaine impériale, Maximin se donnait les moyens d’exécuter de manière légale une membre éminente de la classe noble. Tant que les esclaves abondaient pour boire à la lie la coulpe des chrétiens, il n'y avait pas vraiment grand danger pour Rome, mais si les élites commençaient à se tourner vers cette diable de religion apocalyptique, l'empire n’était plus seulement à s’empirer mais foutu ! Mais là je suppose que notre Empereur ne voyait pas si loin, donc j'ajoute le complément essentiel : cette sainte se disait mariée, non au Christ qui n’est qu’un homme, mais à une entité toujours dite au féminin, bien que dépourvue de toute effigie, à savoir Sophia en grec, celle dont les philosophes, c'est-à-dire les hommes dans tous les sens du mot, sont par principe et comme de naissance les amis inconditionnels, à la vie à la mort. Le tournant dans l'histoire, comme du lait qui tourne aigre, soit le christianisme devenu philosophique, soit grec dans un sens à préparer & justifier à l’avance la décomposition avancée du christianisme : disons que c'est là la première introduction de la déconstruction dans ce qui paraissait absolument aller de soi aussi dur qu'une pierre. Plutôt que Pierre qui a renié son maître — comme si ce n’était pas Judas qui lui avait mâché tout le sale boulot, — Paul, un vrai juif lui, avait vu le danger à l'avance et avait su nommer l'ennemi en parlant de la « folie du monde », par quoi il désignait précisément le contraire de ce qu’on a traduit malencontreusement par « sagesse » (comme s’il pouvait y avoir un contraire à la folie de la raison), en tout cas d’une femme qui incarne donc l’idéal des philosophes purs et durs : la Diotima du Banquet de l’Ermite de Grèce ou encore la Sophie du saut par-delà l’essence ou les sens. J'aurai ainsi réécrit la légende mais l'histoire condamne à la réécriture sans fin d'un même texte dont le sens s’est oublié depuis avant même la première fois. Toujours est-il, je continue cette histoire pieuse et même épieuse : Contrairement aux attentes de Maximin, Catherine réussit à rendre fous les hommes de soi-disant science aux ordres comme toujours du pouvoir gris. Sans même recourir à la ciguë, elle se contenta peut-être d'en appeler à leur conscience, mais là je ne sais pas comment elle s'en est tirée : peut-être a-t-elle fait comme Jeanne d'Arc ou Antigone, c'est-à-dire invoqué des lois non écrites inconnues même des hommes de loi. Au Moyen Âge, Sainte-Catherine était rangée parmi les 14 seins les plus utiles au ciel ; certains voient en elle l’ange qui apparut à Jeanne, mais c’est une vision sans plus de fondement que celle qui en fait l’âme damnée de Gilles de Rais. La vérité est qu’elle ruine tous les bourreaux du bon sens sur un bûcher, elle est la Rouée qui aura fait éclater la roue au moment où son corps pantelant y avait été déposé, devenant plus tard l’enseigne des Décolletés. Son secret tenait en ce corps même : son Toucher parlait plus fort que tout autre argument. Par une ironie du sort, elle devint donc l’ange gardienne des philosophes et autres hommes de parole qu’elle avait rendus muets, destin anticipant sa décapitation finale ou pas tout à fait finale puisque le corps tronçonné mystérieusement réapparut intact et momifié dans les règles de l’art du désastre cinq siècles plus tard au sommet de la montagne dite de Moïse, très exactement au lieu-dit où Dieu aurait aveuglé le même Moïse têtu comme une mule sous la forme d'un buisson ardent qu'on montre encore aujourd'hui à l'intérieur du monastère Sainte-Catherine qui contient d'ailleurs aussi une mosquée mais pas de synagogue. La légende dit que son corps avait été métaphorisé au mont Sinaï par des anges où par la suite fut construit un monastère sur l'ordre de l'empereur Justinien qui s’était donc converti au christianisme et avait entraîné l’empire avec lui.

Saturday, August 1, 2009

Post-scriptum

Post-scriptum

Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin est devenu le vestige d’un autre temps. Ce qui est arrivé là — des centaines de milliers d’Allemands de l’Est franchissant librement, pacifiquement et joyeusement le « mur de la honte » — échappe encore à toute prise de mesure. Nous ne savons que cela : qu’il est arrivé quelque chose de décisif, d’irréversible, non seulement à l’Allemagne, mais d’abord à l’Europe tout entière. A terme, en effet, c’est non seulement la nécessaire et souhaitable réunification d’une nation absurdement déchirée, mais d’abord celle de l’Europe, qui ne se réduit pas à ce protoplasme mou de l’ « Europe sans frontières » de 1992. Dans une certaine mesure, c’est même cette perspective de 1992 qui risque de poser les barrières à l’avenir, en reconstituant, à l’envers, le rideau de fer, ou plutôt le rideau du capital. L’Ouest va-t-il se replier sur la « forteresse Europe », refusant la fin des blocs, le désarmement et la glasnost partout, du Finistère à l’Oural ? Va-t-il refuser la chance, unique, qu’enfin un autre commencement nous arrive, nous transforme en un « Nouveau Monde » certes à mille lieues de l’Amérique, mais où l’Histoire, enfin, se remettrait en marche, pour accomplir cette modernité toujours différée depuis deux siècles ?
(Seattle, 13 novembre 1989)

Source : MFM Solitudes (de Rimbaud à Heidegger), Galilée éd., collection « La philosophie en effet » dirigée par Jacques Derrida, Sarah Kofman, Philippe Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy [dernier survivant à l’heure où le même MFM republie ce post-scriptum 20 ans après, ou presque].
Ce « post-scriptum a été rajouté au dernier moment, bien après que le livre ait été lu, critiqué et finalement accepté (à mon plus grand honneur) dans la collection où j’ai par la suite « donné » 5 autres volumes (en comprenant 2 traductions, une de l’anglais et l’autre de l’allemand). Il venait à la fin du chapitre 9 intitulé « L’horreur du vide » dont une première version avait été publiée dans le volume VIII (1987) du défunt Le Temps de la Réflexion, qui a cessé de paraître suite à mon départ pour Seattle en tant que « visiting professor » à l’Université de Washington (attention ne pas confondre avec Washington D.C. comme j’avais failli le faire par ignorance complète de la géographie américaine ; ceci pour expliquer aussi qu’à l’époque je croyais encore à un « destin » historique ou historiale pour l’Europe, à condition, bien sûr de ne pas glisser dans la mauvaise pente que je voyais déjà venir avec le Traité de Maastricht contre lequel j’ai au reste voté , comme j’aurais aussi bien voté, si j’avais pu, contre cette foutue Constitution qui « nous » a été imposée de force au mépris de toute « volonté populaire » (même si je préfère dire plutôt, We, The People, intraduisible au moins littéralement en français : « Nous les gens » ? Mais vous n’y êtes pas, mon pauvre ami : les gens ou l’enfer, c’est les autres, nous a-t-on seriné tant de mauvaises fois).
Pour en venir à « L’horreur du vide » : il visait, spécifiquement, l’architecture nazie d’Albert Speer et sa vision délirante du Gross Berlin qui avait continué à survivre chez un certain nombre de « théoriciens » français de l’architecture. Bien entendu, la date de première publication compte particulièrement dans le contexte délétère de l’ »affaire Farias », qui se trouve traitée, je crois à fond, dans le dernier chapitre sous le titre assez prémonitoire « Ce passé qui ne veut pas passer » mais que j’avais bonnement traduit du titre d’un article d’un historien allemand que je qualifierais volontiers de révisionniste, même s’il n’est pas aussi criminel que Faurisson l’émule de Jean Beaufret.
Après 20 ans d’Amérique, et surtout l’élection d’Obama à la présidence de ce qui reste le plus « influent » (pas nécessairement puissant) pays du globe, je commence à bien mesurer l’abîme qui sépare l’Europe du « Nouveau Monde » : c’est peut-être simplement une affaire temporelle ou temporale : vestiges et ruines du passé « qui ne veut pas passer » d’un côté, et croyance, peut-être un peu puérile mais tout de même moins déprimante, non en un avenir « radieux » comme les mensonges communistes, mais, simplement, en des possibilités, même si elles paraissent aussi inimaginables que l’élection d’un président noir à la Maison-Blanche, et d’un président qui, lui, n’a nullement perdu la mémoire ni maquillé l’histoire : oui, les Etats-Unis reposent en partie sur l’esclavage et la ségrégation qui persiste encore « aujourd’hui », mais au moins, quelqu’un, au nom de We the People, a décidé qu’on pouvait changer tout ça, et par exemple qu’on pouvait être américain et black, latina, et même… disciple fervent de la grande Révolution Française (pas allemande, désolé). Car 1989 aurait pu « renouer » avec 1789 le fil interrompu de la modernité dont nous n’avons plus guère le goût — la faute à qui ?