Saturday, December 29, 2012

théo(a)gonie

Hésiode s’en est peut-être inspiré, lui qui fait de Chaos le point de départ absolu. Chaos et non désordre : sinon, il faudrait supposer un ordre antérieur à Chaos. Les Egyptiens l’ont nommé Nun, l’Océan sans bords, les Eaux d’Origine. On pourrait dire le zéro avant l’Un, avant tout compte et donc tout conte. Mais il faut observer que cette sorte de « création » reste sans Créateur, ou alors avec plus d’un : par exemple dans d’autres théologies, le dieu Ptah, le forgeron identifié par les Grecs au boiteux Héphaïstos ; à Hermopolis, c’est Toth, le premier à savoir écrire son nom. Dans tous les cas, à la différence de la Genèse biblique, après la création, loin de disparaître, le chaos continue à menacer l’ordre des choses, qui restent toujours dans un équilibre précaire. Le système d’Héliopolis, qui a eu un rôle hégémonique à cause du pouvoir royal solaire, est structuré tardivement en un groupe d’ennéades, soit neuf, soit trois au carré, trois étant le départ du « plus d’un », deux n’étant jamais pluriel mais duel comme le couple frère-sœur. L’histoire peut se rapporter ainsi : Atum indifférent à l’histoire (car tout à sa pénistoire) se masse l’Turban, engendrant ainsi la première paire du service divin, Shu (prononcez : Chou) et Tefnut, soit l'air mâle et l'eau femelle. Après avoir détruit tout, Un devient deux. Il se transforme en l'autre, sans cesser jamais d'être l'Un puisque, de son point de vue absolu, l’Un est Tout, comme dira Héraclite. Cette première paire d’as engendre à son tour une paire royale, Terre (Geb) et Ciel (Nut) ; au contraire des Grecs (et de nous, donc), Terre est un Masculin et Ciel un Féminin, Nut étant parfois représentée sous l’aspect d’une truie qui dévore ses propres enfants (les étoiles) comme Chronos chez les Grecs. Du couple géo-céleste, naissent les quatre cartes qui composent avec les deux générations précédentes et l’Ancêtre à tam-tam le jeu complet des Ennéades. D’une part, on a la paire droite Osiris-Isis, et, de l'autre, l’impair gauche constitué du fou Seth (en hébreu Satan) et de son âme damnée Nephtys. Osiris mis pour le Roi est le fils aîné, légitime donc, assassiné lâchement dans un complot ourdi par son frère Seth qui découpe son corps en quatorze morceaux qu’Isis la sainte sœur ira ramasser grâce au flair d’Anubis, le fin limier lévrier patron des embaumeurs. Mais, même recousu, Osiris restera mort : démembrés, ses abattis seront numérotés, catalogués et fichés comme pièces à conviction dans le premier Procès de l’Histoire. Osiris ne revient jamais au jour, il reste mort, et le demeure à jamais même s’il s’éveille à une vie autre, que l’on ne peut comparer qu’à celle du Livre.
Sources:MFM, LM (2006),  chapitre 2; TOTH'M (2009), chapitre 3.

Tuesday, December 25, 2012

Noël sur la terre (citation)

Du même désert, à la même nuit, toujours mes yeux las se réveillent à l'étoile d'argent, toujours, sans que s'émeuvent les Rois de la vie, les trois mages, le coeur, l'âme, l'esprit. Quand irons-nous, par-delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer - les premiers! - Noël sur la terre! 
Arthur Rimbaud, "Matin", Une Saison en Enfer
Dans les rêves, les Morts apparaissent souvent plus vivants que les vivants, parce qu'ils ont été lavés de cette faute: être né. [...] Il était jeune, chaleureux, vrai ami de la Maison, nullement cassant. Seulement, il ne pouvait pas rester, il avait un train à prendre. Dans la cuisine, chacun était assis à causer, de choses et d'autres; une bouilloire fumait juste derrière. L'hôte voulait lui offrir, avant qu'il ne repartît dans la nuit, un exemplaire de La Disparue. C'était la veille de Noël, et tous les exemplaires avaient mystérieusement disparu des étalages des librairies, comme si l'ouvrage avait été mis à l'Index. Son visage alors s'illuminant d'un sourire enfantin, le visiteur du soir repartit: Noël sur la terre! citant, comme il le savait et comme cela allait sans dire, Rimbaud "dans le texte", ainsi qu'il fit remarquer avec un mélange bizarre de naïveté et d'amour-propre.
MFM, Tombeau de Trakl, "Au Nom de l'autre".

Sunday, December 23, 2012

Thursday, December 20, 2012

Wednesday, December 19, 2012

Le bien du monde?

....et la lettre [d'Adolf Loos] finit ainsi, laissez-moi vous quitter sur ces mots, en vous remerciant d'avoir été si patients:
Adieu, cher Trakl! Pour le bien du monde, restez en bonne santé! Tenez-vous pour le vase de l'Esprit que nul, pas même Georg Trakl, n'a le droit de briser.
Tombeau de Trakl, p. 66. 

Sunday, December 16, 2012

Tuesday, December 4, 2012

Le philosophe de la connaissance tragique


Il maîtrise l'instinct effréné du savoir, mais non par une nouvelle métaphysique. Il n'établit aucune nouvelle croyance. Il ressent tragiquement que le terrain de la métaphysique lui est retiré et il ne peut pourtant se satisfaire du tourbillon bariolé des sciences. Il travaille à l'édification d'une nouvelle vie: il restitue ses droits à l'art. [...] Il faut créer ici un concept: car le scepticisme n'est pas le but. L'instinct de la connaissance, parvenu à ses limites, se retourne contre lui-même pour en venir à la critique du savoir. La connaissance au service de la vie la meilleure. On doit vouloir même l'illusion - c'est là qu'est le tragique. 
Nietzsche, Le livre du philosophe, 38.

Occidanse

Dans la lumière du soleil couchant,
Les hommes ou bien frappent sur le chaudron et chantent,
ou bien gémissent tout haut sur l'approche de la vieillesse.
Comment peut-on soutenir longtemps l'éclat de l'occident?
I Ching, hexagramme 30 (Li, le feu)

("Soigner la vache amène la fortune")

Saturday, December 1, 2012

Le vide d’un maintenant sans durée



« Dans la soi-disant éternité ne se cache qu’un périssable gardé en conserve, mis au rancart dans le vide d’un maintenant sans durée. »
Martin Heidegger, « Pourquoi des poètes ? », in Chemins qui ne mènent nulle part.

Heidegger avait-il raison en donnant « la mort » pour l'avenir, soit la première des trois extases ? Ou bien y a-t-il un tout autre sens à l'avenir que ce mot de m… ? La temporalité de l’existence n’est pas naturelle puisque la mort ne l'est pas, sur ce point Heidegger diffère radicalement des Grecs. Parce que les Grecs prenaient la mesure du temps selon l’Etre comme constante présence. Cela ne fait pas de la mortalité un accident davantage, l'accident supposant une substance. Il y a pourtant une forme de maturation. La possibilité, écrit-il, de l'impossibilité grossit comme si on était « enceint » mais pas d’un saint, la conception du Dasein n’étant justement pas immaculée ; car les mortels touchent de plus près à l’Abîme : l'ab-solu ou l’absence de sol comme seul sol. En cela les mortels s’aventurent plus loin que les Immortels qui ne peuvent jamais cesser de l’être, et ont donc encore besoin de l’être. Schelling avait raison : la liberté humaine repose sur cet abîme. Toucher à ce sol intouchable : le Là-même, si intimement qu’il n'y a personne qui puisse rien nous apprendre à son « sujet » ; en tout cas, il ne s'agit jamais, à aucun moment, d’une autre vie après. L'expérience fait l’impossible différence avec ou sans a (avec ce sera encore s[ ]ns), ou de l'impossibilité de la fixer ; non pas l’impermanence car le flux abrite l'éternité, celle du feu toujours (aei) vivant, « toujours » ne signifiant pas d'abord « sans cesse » (car on présuppose alors la continuité) ; donc continuité & discontinuité conjuguées en un partage à mesure, et cette mesure, c'est le Temps qui la configure, à chaque fois différemment. Flux sans hiérarchie, interpénétration sans obstruction : un-tout comme tout-un.

Sunday, November 25, 2012

Saturday, November 24, 2012

Légende de la fable


Fabuleuse fable

"Il était une fois un pays dans lequel il n'y avait guère que des fous, hors quelques-uns qui étaient sages. Ceux-ci surent, grâce à leur sagesse, qu'il allait tomber une grande pluie qui rendrait fou quiconque en serait mouillé ou souillé. Ce que sachant, ils se firent des cavernes sous terre, jusqu'à ce que la pluie eût cessé. Puis ils sortirent, pensant faire faire aux autres tout ce qu'ils voudraient et les gouverner à leur guise. Mais les fous ne voulurent rien entendre, prétendant se gouverner eux-mêmes et se passer de l'aide des sages. Quand ceux-ci virent qu'ils ne pouvaient parvenir à leurs fins, ils regrettèrent de n'être pas restés sous la pluie et de n'avoir pas souillé leurs vêtements comme les autres."
Thomas More, Ecrits de prison

Wednesday, November 21, 2012

Un dernier vers pour la route

les images dont se nourrit l’esprit
sont lettres mortes pour des illettrés
à lire ces choses sur des archets violents
l’espace comme une porte rouillée
prête à sortir de ses gonds
au moindre coup s'élance  

Sunday, November 18, 2012

Schelling : « L’entendement est de la folie réglée. »



Les philosophes sont-ils donc les seuls détenteurs du secret de la vérité : qu’elle vienne de la liberté (de l’Etre) ? Ils voient comment toute chose est disposée, ce qu’il faut qu’elle soit pour qu’elle fasse partie d’un tout. Mais ils ne détiennent rien : la vérité ne peut être détenue, comme un détenu en prison, même en le mot (forcément trompeur) de « vérité », et même si l’on corrige l’erreur de la traduction en latin du mot grec aletheia grâce à une étymologie inconnue des gens qui parlaient la langue communément appelée « grecque ». Platon préférait inventer une « erreur divine » à l’origine de la vérité, où il faut comprendre peut-être que c’est la vérité « elle-même » qui est une invention « invraisemblable ». Dans tous les cas, le secret reste bien gardé dans le mot même qui en devient inoubliable, alors qu’en toute rigueur il n’y a rien – absolument rien – qui ne soit voué à l’oubli à plus ou moins brève échéance. Une génération suffit en général à tout reléguer dans les oubliettes de « l’histoire ». Mais c’est justement parce qu’il n’y a apriori  rien qui puisse s’oublier que le vrai ne peut pas, lui et lui seul, échapper à qui l’a reconnu au moins une fois. « Par exemple » la mort. C’est peut-être même le seul exemple absolument vrai et en même temps totalement indémontrable puisqu’elle échappe à tout apparaître. Le mort peut bien avoir telle ou telle apparence, la (sa) mort n’en aura jamais offert une seule. Elle ne donne à voir que la soustraction de tout, y compris de la vue. C’est cela qui casse toute continuité, forcément illusoire, pleine de trous, des discours ; la mort reste toujours aussi incroyable, et incroyablement vraie. Il n’y a plus la moindre image ni métaphore, plus rien à voir avec l’imposture ou la littérature. 

Friday, November 16, 2012

Ni ordre ni beauté



Héraclite dit donc que le plus bel ordre (au sens de la disposition des choses dans un ensemble où chaque chose a sa place attribuée en fonction d’une certaine logique) est fait de choses « versées », voire déversées au hasard, n’importe comment. Ce qui veut dire ?
1.      que l’ordre n’importe pas ;
2.      que la beauté se passe d’ordre ;
3.      que l’ordre n’a pas besoin d’être beau ;
4.      que la beauté n’importe pas non plus ?
Ni ordre ni beauté, ce serait cela, le cosmos ? La plus belle cosmétique, le plus bel arrangement, la plus belle parure, décoration : on verse des paillettes, répand des fards, maquille – alors qu’il faut juste laisser tout tel. C’est encore comme ça que c’est le plus beau : vrai. Ne rien arranger, jamais.  Pas d’arrangements, pas de compromis, parce que rien ne s’arrange jamais, « avec » l’existence ; tout arrangement produit des dérangements qui le mettent vite en déroute. Les deux dangers qui menacent le monde selon Valéry – ordre & désordre – ne sont en réalité pas deux (l’ensemble ne fait jamais qu’un) et ne sont donc pas des dangers « réels » (comme s’il pouvait y avoir un monde en ordre et un autre en désordre, comme si ce n’était pas toujours le même monde, en ordre comme en désordre). La disposition est toujours aléatoire ou précaire, tout le temps qu’elle tient ; c’est donc sa durée seule qui fait sa force. Or les structures les plus durables sont immatérielles. Seulement, ce langage des structures n’est valable que pour les institutions, jamais pour l’existant qui n’est donc pas « structuré ». C’est ce qui condamne à l’avance son analytique à n’être qu’une destruction préalable de toutes les structures mises en place par l’ontologie de la substance (dérivée indument d’Aristote qui avait en vue plutôt une éthique existentiale).

Monday, November 12, 2012

votre Dasein doit rester hors-service



Heidegger écrit en langage clair ; on ne peut pas confondre son Dasein avec un chien ou un outil ou même un Dieu. Le Dasein in situ unique en son genre consiste à dépasser tout genre et ainsi ne peut pas davantage se réduire au genre humain du fait aussi que Dasein évite aussi toute généralité et génération, ce qui explique qu’il ne puisse donc pas plus dégénérer que se régénérer. Pourquoi, feint alors de s’étonner Heidegger, au paragraphe 82 avec la note sur l'éternité qui obligerait à penser une temporalité originaire et infinie, pourquoi dit-on le temps passe et non pas le temps naît, sinon qu'on suit le sens du temps de passage orienté depuis l'avenir vers le passé ? Ne serait-il pas possible de lire le "sens" du temps à l'envers ? Réponse de Heidegger : l'avenir, c'est la fin, c'est la mort. Le Dasein est orienté vers l'avenir en ce sens qu'il le projette comme l'horizon déterminant ce qu'il faut et ce qu'il reste à faire & parfaire. Du coup si par hasard tous les buts venaient à être réalisés de sorte qu'il ne reste plus aucun programme à exécuter ? La perfection (du nihilisme-technique) s'abolit elle-même dans sa béatitude éternelle ; à témoigner (déposer) de l'impossibilité de transformer le Dasein en une occupation, une activité ou un commerce. Même s'il n'y a personne d’humain ou de divin, Dasein reste à veiller. Complètement inutile et à jamais hors-service.