Saturday, April 22, 2017

ancienne disparition des lieux


En arrivant sur la plage (à l'instant, dans un éclair aussi aveuglant que le ciel qui noircissait), j'ai été agressé par l'absence du bunker, celui-là même qui figure dans Demeure, apparemment volatilisé et remplacé par une jetée "propre" (la dune de sable a elle aussi disparu). Je parle d'agression à bon escient. C'est comme si l'on nous avait retiré notre mémoire: la guerre, c'est sale et ça dérange commerçants et touristes. Peut-être les Allemands, fort nombreux en ce lieu (Sables d'Or-les-Pins), ont-ils exigé qu'on efface ainsi ce témoignage irrécusable de leur honteuse occupation afin qu'on les laisse occuper plus euroïquement les lieux? Du coup, je me suis senti le dernier témoin, alors même que je n'étais pas né quand cet ouvrage d'art a été érigé. Par moments je me dis que nous sommes cette génération d'après-guerre qui vit la guerre au futur alors que les plus vieux tâchent d'oublier, et que les jeunes n'en ont cure: comme une blessure après-coup, pas utopique car les lieux nous parlent justement au moment et au lieu où ils s'effacent, partent en fumée ou en l'air ou dans la mer.

Thursday, April 13, 2017

quelque chose vaut-il mieux que rien?

J’ai ouvert le premier livre venu de Derrida, Sauf le Nom, à la page 101 où je lis une citation de Maître Eckhart qu’il donne d’abord dans l’idiome original (« c’est ici à l’idiome allemand que nous devons avoir recours »), puis dans la traduction française : Dass etwas muss man lassen ; « le quelque chose il faut le laisser ». En tout cas, il n’est pas question du nom (qui sortirait sauf de cette néantisation totale), encore moins d’une nécessité de garder ce nom secret (« Sauf son nom – qu’il faut taire là où il se rend lui-même pour y arriver, à son propre effacement. ») Eckhart le précise au troisième vers : Gott ist nicht dies und dass / drumb lass dass Etwas gar.

Laisser tout « quelque chose », voilà la condition de possibilité de l’expérience du dieu (qui n’est donc pas un quelque-chose), c’est tout ce que se limitent à dire ces vers et c’est déjà bien assez.

Il est impossible d’en conclure que ce « rien » relève du Nom, un nom étant fait pour nommer un quelque-chose. Le nom « dieu », qu’il soit commun ou propre, ne fait que signifier l’impossibilité de signifier « quelque-chose » avec. Eckhart a plutôt en vue un être-sans – sans nom, autre que l’index d’un « laisser là ». Le plus difficile est bien de laisser aussi Dieu – pour le laisser jouir de lui-même. A ce moment, Derrida laisse là Eckhart, incapable de le suivre dans ce qui ne pourrait lui apparaître que comme un autisme effrayant, dans la mesure où pour lui Dieu n’est que l’un des noms du « tout autre ». Comment ne voit-il pas que dire « autre » (et même « tout autre ») revient à dire encore « quelque chose » - plutôt que rien ?
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Page 103, je note encore qu’il (Derrida) a bien entendu la proximité du désert et du désir. Mais c’est pour critiquer le langage de l’apophase, qui revient à prêcher dans le désert. Or il me semble qu’on ne prêche que dans et pour la foule. Le désert est une « chose » trop sérieuse pour qu’un esprit sain puisse songer un instant à y prêcher. Il est bien plus important de le traverser sans y laisser sa peau. Et en résistant à la tentation de laisser là sa tente ou sa caverne pour aller prêcher à la foule comme fit catastrophiquement Zarathoustra. Les foules sont toutes mortelles. Bien plus qu’aucun désert. Surtout si par « désert » s’entend le desserré, comme jeune j’avais « prêché » devant des amis. Le jeune faux-prédicateur aurait bien vécu au temps des moines errants à la quête du Néant Parfait, par des routes poussiéreuses, pieds-nus et heureux d’être ainsi. Le seul obstacle – mais alors plus gros qu’une montagne à déplacer – c’est que Dieu ne m’a jamais rien dit. Rien, même pas l’absence de tout quelque-chose, qui est elle-même toujours une « grande chose », pour citer encore Eckhart.
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La sagesse et la folie font si bon ménage qu’il n’y a pas besoin de déployer des trésors d’ingéniosité pour intervertir les termes sans grand dommage : la sagesse est une folie tout comme la folie peut être une forme de sagesse (le masque de distance pris par Hölderlin, par exemple). Sagesse n’égale résignation que dans une tradition chrétienne ; en politique c’est une vertu cardinale pour autant qu’il n’y a pas de terrain plus propice à la folie fanatique. Sage aurait été de s’abstenir de se lancer dans des aventures hasardeuses et injustifiables comme aujourd’hui en Syrie, fût-ce au nom de grands principes humanistes que personne ne respecte davantage ailleurs.

Sunday, April 9, 2017

visible & invisible


Je ne me contente pas du visible. En fait, il me dérange plutôt. D’abord parce qu’il est beaucoup trop visible ; ensuite parce qu’il est aussi trop visible qu’il cache quelque chose ; enfin, parce que ce qu’il cache, c’est sa pauvreté. Mais je n’ai aucun goût non plus pour l’invisible. Ils jouent tous deux la même partition où l’un se met à la place de l’autre pour mieux se faire voir comme le seul à valoir. Quand on parle du visible, on oublie généralement de se demander : visible pour qui ? Voir n’a pas lieu tout seul, un regard doit être dirigé vers… La règle d’or de toute voyance est que le regard doit à la fois tenir compte de son propre point de vue et le dépasser pour se laisser montrer ce qu’il y a à voir. Autrement dit, il y a peut-être une parole de Dieu, ce qui rend a priori la parole risquée, mais il n’y a pas de regard de Dieu. Il ne regarde personne. C’est pourquoi il doit chaque fois attirer l’attention un peu à la manière d’un enfant gâté, ou d’un podagre rancunier. Un vrai dieu ne devrait pas avoir un regard pour ceux qui ne peuvent pas le voir. Et il ne se soucie certainement pas de se faire (bien) voir.

Saturday, April 8, 2017

le combat avec l'inconnu

Au passage, noter ceci : la philosophie peut être frustrante, ou énervante, comme ce taon à qui se compare Socrate, dont je soupçonne seulement maintenant qu’il a été ce nageur de Délos accompli qu’il dit ne pas être, l’un des premiers et certainement meilleurs lecteurs du « Livre » d’Héraclite que Cratyle lui avait ramené d’Ephèse. Il l’a si bien compris qu’il a fait exactement le contraire – substantifié tout ; mais il est curieux de penser à la proximité et à l’extrême distance dans lesquelles se tiennent les deux seuls philosophes à 100%, intégralement philosophes jusqu’au bout des ongles, ne prenant aucun gant pour habiller leur pensée, même si Héraclite se fie à l’écriture là où Socrate ne croit qu’en la parole. La différence n’est peut-être pas si importante au regard de leur commune passion pour la stricte vérité – nue et sans fards comme dit Héraclite de la Sibylle. Ce qui donne à son logos une résonance oraculaire (« C’est oracle, ce que je dis. Nous allons à l’Esprit », dira Rimbaud dans sa Saison en Hadès). Il y a dans sa diction toujours une forme de jugement, qui vaut condamnation à mort pour tous ceux qui n’entendent pas ce dont il s’agit, la chose même  cryptée dans la phrase ou mieux la « sentence ». Le chiasme est sa figure de style préférée, seule à rendre compte de l’harmonie « en sens inverse ». Par exemple : Mortels immortels / Immortels mortels. L’erreur commune est d’identifier « mortel » et « homme » sous prétexte que c’était l’archétype homérique, la seule différence entre hommes et dieux résidant dans la fatalité de la mort réservée à la seule race humaine, sort (moira) auquel même les dieux, qui tombent souvent amoureux des « mortels » des deux sexes, ne peuvent rien. C’est la seule limite de leur pouvoir qu’ils admettent, mais elle est suffisante pour suggérer qu’il y a une faille dans la construction homérique. Quand je ne sais plus quel doxographe (absurdité quand on sait ce que les philosophes pensent de la doxa, et de la graphie ou plutôt de la graphomanie qui atteint les « polymathes » flétris par Héraclite) traduit à sa façon la sentence selon une logique simpliste : les dieux sont des mortels immortalisés et les mortels des immortels victimes de l’oubli, ne faut-il pas en rire ? En tout cas, renoncer définitivement à l’idée d’un partage constitué à l’avance, et rappeler l’axiome de base : nul ne peut déterminer a priori qui est un dieu et qui n’est qu’un « simple mortel » ; cela ne se montre pas, mais se devine à certains signes qui, comme on dit vulgairement, ne trompent pas. Ce qui change radicalement avec l’irruption (violente) de la philosophie sur le théâtre de ce Dasein, et Héraclite comme Socrate en porte le témoignage irrécusable, c’est le rapport à la mort, avec l’abandon de l’idée d’un destin imposé à l’avance et de l’extérieur. Pour Héraclite, cela se décide dans le combat avec l'inconnu.   

Wednesday, April 5, 2017

fins de l'homme

... tombé sur un article rafraîchissant sur les risques qu’il y a à boire de l’eau au robinet aux Etats-Unis : pollution en degrés astronomiques bien au-dessus du seuil de tolérance déjà assez élevé, avec des substances nullement illégales mais bien plus toxiques que les drogues les plus dures, arsenic, chlore, sulfates, et j’en passe des cancérigènes aux noms barbares. Seize millions d’Américains meurent chaque année d’avoir bu de l’eau au robinet : au lieu de quoi, les irresponsables corporations politico-pharmaceutiques terrorisent les populations auxquelles elles administrent de force un vaccin contre un virus qui a fait moins de victimes que la grippe saisonnière, mais qui a l’avantage d’encourager les industries suisses et autres à piller et polluer les dernières forêts vierges de la planète! Et avec ça, les mêmes empoisonneurs font tout pour interdire à leurs femmes dégoûtées d’avorter, reproduction des élites avant tout ! Quand ils infectent toute la Terre de leurs délétères instincts sécuritaires ! Mais j’ai dans le cœur l’idée bien enracinée que dans le combat, qui s’annonce bien plus féroce que celui des idéologies sanglantes que Nietzsche voyait se lever à l’aube du 20ème siècle, dans ce polemos qui décidera de qui est libre ou esclave, mortel ou immortel, entre l’humanité dénaturée et la nature conspuée, c’est celle-ci qui l’emportera ! Non, il n’y aura ni Messie ni Surhomme, et c’est tant mieux, car tous deux entraînent à leur suite des hordes de sous-hommes ; il n’y aura peut-être plus d’homme du tout, ou alors il lui faudra se transformer, et non juste évoluer, en quelque Un d’inimaginable, un animal enfin se sachant d’intelligence avec la Nature (y compris « humaine »), comprenant ses besoins, ses plaisirs et ses colères, sa dureté et ses douceurs.    

Tuesday, April 4, 2017

vestiges

Pour les curieux qui viennent le voir comme un fauve  au zoo, « le poète » (il en a même perdu son nom) écrit sur commande des « tableaux » des saisons, seul sujet qui puisse offrir un terrain commun à tous les hommes habitant sur cette terre ; mais combien en restent-ils, même à son époque ? Disparition du « peuple » tournant soit au petit-bourgeois (ennemi de toute poésie), soit au « travailleur » qui n’a pas de temps à perdre avec des poèmes qu’il ne comprend pas. Un luxe de déclassé, pour ainsi dire. Nécessairement décadents ou parasites dans un monde où la seule valeur reconnue universellement est l’économie (le profit), les « poètes » fondent-ils encore quoi que ce soit de durable ? A la manière de l’aède peut-être fictif Homère qui a donné aux Grecs leurs dieux, en ayant inventé, c’est-à-dire formé l’imaginaire grec : mortels & immortels inséparables, pas confondus mais pris dans la mêlée des histoires, divines d’abord et c’est en quoi Homère a lancé les « humanités », ce mythe des « hommes supérieurs ».
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 Droite n’est pas droit. C’est cette confusion « naturelle » que je combats en tant que gaucher contrarié, ce qui ne veut pas dire non plus que je revendique le droit pour « la gauche ». En fait, ces notions purement spatiales & relatives à un point de vue ne devraient pas être investies d’une valeur dominante ajoutée. (« Le bras droit » pour dire l’homme fort.) Gauche et droite ne sont pas non plus interchangeables mais peut-être complémentaires ? Ecrire n’est possible qu’avec une seule main, alors qu’un clavier requiert les deux (je suis un retardé sur ce plan : je ne tape qu’avec un seul doigt, tant je suis resté à l’âge de l’écriture à la main). La répétition à la base : écrire, c’est retracer, ne serait-ce que les lettres, toujours identiques ;  une écriture même tenue pour « illisible » reste identifiable en tant que la lisibilité est toujours affectée de la même façon. Mais il y a des cas d’aliénation mentale où le patient peut utiliser des écritures complètement différentes comme on peut endosser des  personnalités multiples (jusqu’à deux douzaines, paraît-il, au Japon). Le moindre des paradoxes de l’absolu (absence de sol), c’est bien de donner une solidité à toute épreuve : même si le sol venait à se dérober pour de bon, le « là » tiendrait encore lieu de sol. Dans la formule absolue « TANT QUE L’EXISTER A LIEU… », « tant » ne se mesure ni en termes de quantité ni même de qualité (« qualité de vie »), mais à l’espace-de-temps maintenu ouvert.
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Un tout se constitue comme un tout dès lors que c’est dit fini : « c’est tout ! », rien d’autre, n’en rajoutez pas. La totalité ne se constitue que par l’exclusion de toute autre. Une totalité qui contiendrait tout ne tiendrait pas une seconde, car elle ne pourrait pas se contenir en même temps qu’elle contiendrait tout. D’où le recours à un deus ex machina – l’absurde création d’un Dieu (hors du tout) responsable de l’existence de tout.