Saturday, April 8, 2017

le combat avec l'inconnu

Au passage, noter ceci : la philosophie peut être frustrante, ou énervante, comme ce taon à qui se compare Socrate, dont je soupçonne seulement maintenant qu’il a été ce nageur de Délos accompli qu’il dit ne pas être, l’un des premiers et certainement meilleurs lecteurs du « Livre » d’Héraclite que Cratyle lui avait ramené d’Ephèse. Il l’a si bien compris qu’il a fait exactement le contraire – substantifié tout ; mais il est curieux de penser à la proximité et à l’extrême distance dans lesquelles se tiennent les deux seuls philosophes à 100%, intégralement philosophes jusqu’au bout des ongles, ne prenant aucun gant pour habiller leur pensée, même si Héraclite se fie à l’écriture là où Socrate ne croit qu’en la parole. La différence n’est peut-être pas si importante au regard de leur commune passion pour la stricte vérité – nue et sans fards comme dit Héraclite de la Sibylle. Ce qui donne à son logos une résonance oraculaire (« C’est oracle, ce que je dis. Nous allons à l’Esprit », dira Rimbaud dans sa Saison en Hadès). Il y a dans sa diction toujours une forme de jugement, qui vaut condamnation à mort pour tous ceux qui n’entendent pas ce dont il s’agit, la chose même  cryptée dans la phrase ou mieux la « sentence ». Le chiasme est sa figure de style préférée, seule à rendre compte de l’harmonie « en sens inverse ». Par exemple : Mortels immortels / Immortels mortels. L’erreur commune est d’identifier « mortel » et « homme » sous prétexte que c’était l’archétype homérique, la seule différence entre hommes et dieux résidant dans la fatalité de la mort réservée à la seule race humaine, sort (moira) auquel même les dieux, qui tombent souvent amoureux des « mortels » des deux sexes, ne peuvent rien. C’est la seule limite de leur pouvoir qu’ils admettent, mais elle est suffisante pour suggérer qu’il y a une faille dans la construction homérique. Quand je ne sais plus quel doxographe (absurdité quand on sait ce que les philosophes pensent de la doxa, et de la graphie ou plutôt de la graphomanie qui atteint les « polymathes » flétris par Héraclite) traduit à sa façon la sentence selon une logique simpliste : les dieux sont des mortels immortalisés et les mortels des immortels victimes de l’oubli, ne faut-il pas en rire ? En tout cas, renoncer définitivement à l’idée d’un partage constitué à l’avance, et rappeler l’axiome de base : nul ne peut déterminer a priori qui est un dieu et qui n’est qu’un « simple mortel » ; cela ne se montre pas, mais se devine à certains signes qui, comme on dit vulgairement, ne trompent pas. Ce qui change radicalement avec l’irruption (violente) de la philosophie sur le théâtre de ce Dasein, et Héraclite comme Socrate en porte le témoignage irrécusable, c’est le rapport à la mort, avec l’abandon de l’idée d’un destin imposé à l’avance et de l’extérieur. Pour Héraclite, cela se décide dans le combat avec l'inconnu.   

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