Thursday, April 13, 2017

quelque chose vaut-il mieux que rien?

J’ai ouvert le premier livre venu de Derrida, Sauf le Nom, à la page 101 où je lis une citation de Maître Eckhart qu’il donne d’abord dans l’idiome original (« c’est ici à l’idiome allemand que nous devons avoir recours »), puis dans la traduction française : Dass etwas muss man lassen ; « le quelque chose il faut le laisser ». En tout cas, il n’est pas question du nom (qui sortirait sauf de cette néantisation totale), encore moins d’une nécessité de garder ce nom secret (« Sauf son nom – qu’il faut taire là où il se rend lui-même pour y arriver, à son propre effacement. ») Eckhart le précise au troisième vers : Gott ist nicht dies und dass / drumb lass dass Etwas gar.

Laisser tout « quelque chose », voilà la condition de possibilité de l’expérience du dieu (qui n’est donc pas un quelque-chose), c’est tout ce que se limitent à dire ces vers et c’est déjà bien assez.

Il est impossible d’en conclure que ce « rien » relève du Nom, un nom étant fait pour nommer un quelque-chose. Le nom « dieu », qu’il soit commun ou propre, ne fait que signifier l’impossibilité de signifier « quelque-chose » avec. Eckhart a plutôt en vue un être-sans – sans nom, autre que l’index d’un « laisser là ». Le plus difficile est bien de laisser aussi Dieu – pour le laisser jouir de lui-même. A ce moment, Derrida laisse là Eckhart, incapable de le suivre dans ce qui ne pourrait lui apparaître que comme un autisme effrayant, dans la mesure où pour lui Dieu n’est que l’un des noms du « tout autre ». Comment ne voit-il pas que dire « autre » (et même « tout autre ») revient à dire encore « quelque chose » - plutôt que rien ?
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Page 103, je note encore qu’il (Derrida) a bien entendu la proximité du désert et du désir. Mais c’est pour critiquer le langage de l’apophase, qui revient à prêcher dans le désert. Or il me semble qu’on ne prêche que dans et pour la foule. Le désert est une « chose » trop sérieuse pour qu’un esprit sain puisse songer un instant à y prêcher. Il est bien plus important de le traverser sans y laisser sa peau. Et en résistant à la tentation de laisser là sa tente ou sa caverne pour aller prêcher à la foule comme fit catastrophiquement Zarathoustra. Les foules sont toutes mortelles. Bien plus qu’aucun désert. Surtout si par « désert » s’entend le desserré, comme jeune j’avais « prêché » devant des amis. Le jeune faux-prédicateur aurait bien vécu au temps des moines errants à la quête du Néant Parfait, par des routes poussiéreuses, pieds-nus et heureux d’être ainsi. Le seul obstacle – mais alors plus gros qu’une montagne à déplacer – c’est que Dieu ne m’a jamais rien dit. Rien, même pas l’absence de tout quelque-chose, qui est elle-même toujours une « grande chose », pour citer encore Eckhart.
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La sagesse et la folie font si bon ménage qu’il n’y a pas besoin de déployer des trésors d’ingéniosité pour intervertir les termes sans grand dommage : la sagesse est une folie tout comme la folie peut être une forme de sagesse (le masque de distance pris par Hölderlin, par exemple). Sagesse n’égale résignation que dans une tradition chrétienne ; en politique c’est une vertu cardinale pour autant qu’il n’y a pas de terrain plus propice à la folie fanatique. Sage aurait été de s’abstenir de se lancer dans des aventures hasardeuses et injustifiables comme aujourd’hui en Syrie, fût-ce au nom de grands principes humanistes que personne ne respecte davantage ailleurs.

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