96 (DK
B27, M74.)
ἀνθρώπους μένει ἀποθανόντας ἃσσα οὐκ ἒλπονται οὐδὲ δοκέουσιν.
« Les
hommes, il leur reste, morts, des
choses qu’ils n’attendent ni ne s’imaginent. »
Le premier verbe signifie aussi bien "rester" que "attendre" (sens du second verbe: le grec ne connaissant pas la notion subjective d'espoir). Par conséquent, les hommes (terme presque toujours négatif, surtout au pluriel), les attend ce qu'ils ne peuvent par principe jamais attendre et a fortiori s'imaginer. Même si le fragment est cité par Clément d'Alexandrie comme un témoignage d'une vie après la mort (et d'un Jugement Dernier), toute interprétation religieuse (chrétienne d'abord, les Juifs ne croyant pas à un au-delà) est inepte. Les hommes une fois morts deviennent des simples "corps" ou cadavres, et c'est encore moins appétissant que les excréments, comme dit un autre fragment:
56 (DK B96,
M76.)
νέκυες κοπρίων ἐκβλητότεροι
« Les morts
[sont] plus abjects que les merdes. »
κοπρίων désigne le tas de fumier, pas loin de kopros, l’excrément, la merde (humaine),
le caca : dans ces conditions, n’honore-t-on pas des fumiers en guise de
héros « morts pour la patrie » ? Le culte rendu aux combattants
tués à la guerre, sur les champs de bataille d’Arès, n’est-ce pas une forme de
coprologie ? Si tous deux puent, seule la merde est naturelle,
alors que le cadavre ne l’est pas, du moins pas entièrement. Le cadavre ne
saurait se réduire à de la matière organique en décomposition; le terme grec
employé, « nekues », ne
saurait non plus se traduire sans violence par « cadavres »: la
NEKUIA de l’Odyssée n’est pas une visite à la morgue ! Achille n’est pas
un cadavre, autrement il ne saurait répondre
à Ulysse parce qu’il n’aurait pas de nom.
C’est pourquoi la plupart des tombes portent au moins le nom du mort inscrit
sur la dalle ou la plaque funéraire. Or Héraclite n’accepte plus la vision
homérique de l’Hadès. Donc « Il faut
écarter les cadavres plus encore que l’ordure », et dans ces cadavres
Héraclite a déjà rangé les glorieux ancêtres. Sa parole fait irruption comme la
foudre qui brise la continuité illusoire du temps comme succession (une
succion, plutôt). Mais en même temps qu’elle rejette les cadavres, cette même
parole accueille « la » mort comme l’éveil à la clarté de la
distinction pure. Le feu ne se
contente pas de consumer, il purifie. Cette purification n’a rien d’une
sacralisation, car il n’y a rien au monde qui ne soit pur sans être passé par ce feu — un feu un & commun qui s’échange contre toutes choses comme les
marchandises avec l’or et vice-versa.
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