Monday, January 6, 2014

Morceau de Musique.

C’était un morceau de musique, un vrai, avec des silences, que celui-là avait envoyé à l’époque où il écrivait en colonnes. Ce n’était pas un morceau instrumental ni même une pièce écrite, car il n’a jamais su le solfège ni déchiffrer une partition, même rudimentaire. Un sens inné du moment venu, du temps accordé — un accord qui résonne en dissonance d'avec tout ensemble, qui traverse tout sans s'attarder outre mesure car même le soleil ne dépassera pas ses limites. La flamme du feu toujours vivant élève les vivants à leur mortelle immortalité : Shut your eyes and see, oui, vois qu'il n'y a rien à voir, mais que c’est cela même, voir : toucher ce Rien-là, de même que tout ce que voit l'oeil éveillé est la mort, θανατος. L'œil qui s'ouvre à travers l'écorce de pierre (image de la prison fausse commune) se transforme en une bouche qui se révulse ; les ψυχαι coassent dans la coquille vide des oreilles désaffectées ; et, dans la nuit surpeuplée de sifflements, craquements, hurlements, l’œil s'ouvre toujours plus en matrice torsadée, vulve vorace, vomissant la bile noire des morts, des momies corsetées dans leurs bandages d’argent. Il faut donc se laisser emporter, sur cette rivière où l'on n'entrera ni deux ni même une seule fois (une seule supposant toujours son double (n)ombreuse) avec tout le reste qui ne reste pas, dépouille désarticulée, désossée, invertébrée, par des mains qui seraient aussi des antennes, des pinces, des pensées, à tourner comme figurines de ballerine dans les boîtes à musique des enfants insomniaques, des idiots invétérés, soufflés comme des bulles de verre au moindre effleurement du λογος resté incompris de tous, s'il a déjà tout compris de son un-différence, et pourtant, quelqu'un contredirait tout cela, accuserait l'autre de magie, criait en réalité cet autre qui n'était précisément qu’un tour de plus, en vérité le plus redoutable, de la part de cette voix, muette et implacable, qui veille au grain, sans cesse ni casse, résiste envers et contre tout, & se cabre enfin.
Extrait d'Ajournal (2007).

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