Les erreurs sont toutes fatales, et c'est là tout ce qui
se transmet car la vérité ne se prête à aucun compromis : ne se compromet
pas même en se promettant.
Ne s’apprend nulle part mais prend
(feu) où elle veut bien.
Il est clair qu’à chaque fois que
j’approche de la fin, au lieu d’avoir le sens de l’accomplissement (en-œuvre :
ενεργεια : énergie : entéléchie), j’éprouve un besoin urgent de
quitter ce à quoi j’ai travaillé, Héraclite depuis je ne sais plus combien
d’années; il me faut lui donner congé comme dit le poème Génie de Rimbaud qui est encore la
meilleure traduction de ce fragment que Heidegger présente comme alternative à
toute morale éthique humaniste : ἦθος ἀνθρώπωι δαίμων. Encore
aujourd’hui je ne saurais pas traduire mot pour mot, même si je ne cesse de les
creuser pour les entendre parler : ἦθος = ethos ἀνθρώπωι = pour l’anthrope (autrement dit « genre humain ») δαίμων = ? C’est justement le ? qui commande l’ethos pour les hommes : ils ne
savent pas ce qui les tient au point de forger leur manière habituelle d’être,
leur « caractère ».
C'est donc à partir de cela, ou plutôt de
« celui-là », qui les habite, et qu’ils ne connaissent jamais parce
que cela ou celui-là reste « insortable », si c’est lui qui fait le
partage ou distribue les lots, donc c’est à partir de celui-là qu’il y a une
éthique : le rapport à l’inconnu détermine tout le caractère d’un
homme : s’il l’évite (pour la plupart) ou si au contraire il le cultive
pour user de ce sens positif à ce mot : cultiver l’inconnu ou plutôt le
goût pour ce qui nous échappe et nous
gouverne.
Et même trafiquer dans l'inconnu, comme dira Rimbaud plongé dans le Noir du Harrar-Horror.
Or l’inconnu n’a essentiellement pas de
terme : tout l’est, dans la
mesure même où « tout » inclut le connu comme un élément de
l’ensemble avec lequel pourtant il est en total désaccord. Le combat (polemos) avec l’inconnu, c’est la lutte
pour la connaissance. Or l’inconnu, ce n’est rien d’étranger, d’autre :
c’est le Même mais qui « aime » resté caché comme tel (comme même), et
se donne donc de prime abord et le plus souvent comme autre. Bien voir que
cette illusion vient du Même qui ne veut pas (mais veut aussi) être reconnu
comme maître du tout – Zeus dont la foudre n’est pas juste un attribut mais une
arme dans cette lutte « cosmique » qui fait rage dès le départ – dans
la guerre de libération où l’inconnu foudroie le connu et du même coup libère
la connaissance de tout particularisme, de toute spécialisation étroite et
bornée.
La science moderne née de ce conflit a
d’avance tranché pour la sécurité des certitudes subjectives, subjuguée par
l’avidité technologique de puissance. Si elle a pu découvrir la fission de
l’atome, elle pourra aussi désintégrer la planète ou rendre son climat inhabitable : c’est beaucoup plus
facile que de maintenir le discordant ensemble avec l’accordé.
Il n’est pas certain que δαίμων ait toujours eu un sens positif ; au contraire, tout indique qu’il parle plutôt
sous forme d’interdits. Ce qui donne à toute éthique un caractère défensif, de
résistance à l’ennemi. Mais c’est la nature de l’ennemi qui est déterminante « pour
l’homme » : le plus souvent il ne le connaît pas et se trompe
royalement en supposant par exemple qu’il ne peut être qu’extérieur et étranger
à soi. Et c’est bien ainsi qu’il apparaît (comme l’inhabituel), alors que c’est
notre hôte et qu’il faut l’accueillir
comme notre invité, même s’il risque de bouleverser toutes nos habitudes.
Mais quoi ? On en arrive à des
propositions incompatibles comme celles-ci :
a. il faut
accueillir l’ennemi parce qu’il pourrait bien être un dieu (xénophilie homérique);
b. l’homme s’en
tient à ce qu’il considère familier alors qu’il ne voit pas que c’est son
ennemi mortel (sous la forme, par exemple, du mythe de la famille "unie", alors qu'elle naît de la dissension des sexes);
c. c’est
précisément parce que l’ennemi est mortel qu’il est le seul capable de nous
rendre libre à l’égard de la mort, qui n’est donc pas l’ennemi public numéro un
si c’est elle qui maintient l’humanité ensemble, elle qui d’une certaine
manière fait le lien mais toujours dénié du fait de l’idiotie congénitale des
mortels (chacun s'estime propriétaire de ses pensées comme si penser n'était pas commun à tous) ?
Comment s’en sort-on, alors, de ces
apories ? Justement, on ne s’en sort jamais : sinon, ce ne serait pas
de réelles apories ; vouloir s’en sortir est même ce qui empêche d'y séjourner et donc d'en rien apprendre (des répétitions polymorphes de l'Histoire). Mais l’affrontement, le face-à-face n’est pas non plus une option
réelle face à la mort : vu qu’elle n’a aucune face à offrir, elle qui les
efface toutes. Que reste-t-il alors ? Aucune « option », ce
n’est pas une affaire de choix, et le libre-arbitre est bien la plus lâche des
inventions humaines en matière d’éthique. Ni contourner ni affronter « la
mort » mais jouer avec le temps.
Loin de la fuir ou de l’attendre, passer et même "sauter" (Heidegger) par devant elle, mais pour cela, ne
pas lui sauter dessus en pensant être le plus fort. Il n'y a pas de plus fort en la matière, toute force y trouve sa fin - sa mort. Donc juste s’écarter de son « chemin », justement parce
qu’elle est toute tracée, une auto-route, au contraire de l’existence extatique du Dasein. Sauter dans une
dimension différente : « dans » la différence même : le
même différant de l’identique.
Élan ou allant : affaire de légèreté,
de ne pas s'encombrer, de rester dispos (σοφος) : s'attendre à ce
qui contre toute attente advient, survient, a lieu, fait le lieu non seulement
vacant, libre, mais désirable,
habitable.
Mais comment parler de désir là où il n'y
a plus que les gens ? N’y a-t-il donc que la contrariété ou l'adversité qui
rassemble ? Pas l’amitié ou l’amour ? Ou bien reste-t-on englué dans le
dualisme en séparant et opposant les deux ?
Le nid de l'oiseau est-il si différent du
champ de bataille de naguère ? Oui : il n'y a plus de guerre entre « nous »
parce qu'il n'y a rien entre
nous : plus de relation ? Mais si rien entre nous, rien que de l’air,
c'était la condition même de possibilité du lien le plus fort entre deux
êtres ?
Faut-il donc des obstacles en apparence
insurmontables entre les deux pour qu’il n’y ait qu’Un ? Un, c'est-à-dire la relation et non l’un des
termes.
Peut-être n'y a-t-il liberté qu’à partir et non à
rester, mais il n'y a de courage qu’à rester et non à fuir. Le seul pouvoir de
l'existence mortelle serait de se dire adieu à l’avance. Comme une promesse à
tenir mais dans quel avenir ? En attendant ce qui ne peut venir que contre
toute attente qui n’est pas nécessairement le meilleur – l’un-tout, qui ne
peut-être totalisé que depuis la séparation, donc cet univers ne cesse de
s'écouler en divers bientôt ou déjà adversaires pour la conquête exclusive du
tout ; l’ennemi n’est pas l'exclu, il/elle est au contraire bienvenu(e)
pour faire comprendre que rien ni personne ne fait jamais qu’occuper la place pour
un temps limité.
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