C’est dimanche, j’ai donc ouvert rituellement msnbc pour voir s’il y avait dans les news matière à homélie. Trois « travailleurs » de l’O.N.U. ont été exécutés par un amas d’Afghans en colère contre un certain pasteur Jones qui venait de brûler un (un seul) exemplaire du Coran dans une petite église du Sud des Etats-Unis.
Qui faut-il blâmer ? Tout le monde.
D’abord ceux qui confondent les livres et les hommes. Brûler un livre, c’est brûler du papier. D’ailleurs il faut généralement le tremper dans du kérosène, autrement seuls les bords et marges brûleront.
Ensuite ceux qui confondent les livres et « la parole divine ». Hormis le grand Toth-Hermès, aucun dieu n’a jamais su écrire : pourquoi donc en aurait-il eu besoin ? En outre, il faut quand même avoir une main (une main d’homme, je précise en vous renvoyant à ce que Derrida disait de l’humainisme) pour tracer une seule lettre. Ou dessiner un hiéroglyphe. Et si l’on me parle de machines, il a bien fallu des mains pour les construire. Il n’y a pas de machine immatérielle, ou alors on en reste à l’obscur grand Manitou dont les desseins nous resteront éternellement obscurs, puisqu’ils ne se dessineront jamais noir sur blanc.
Il n’y a pas de saintes écritures, car l’écriture est tout sauf sainte. Brûler le Coran n’est pas plus que brûler la Bible ou l’Annuaire téléphonique, il faudrait voir ce lui qui demandera le moins de kérosène. Une légende court qu’Arthur Rimbaud aurait jeté au feu (du foyer maternel de Roche) le seul livre qu’il ait jamais voulu « publier », Une Saison en Enfer, à peine cinquante pages que je tiens pourtant pour ma propre Bible, infiniment plus portative que la « vraie », même sur « papier-bible ».
« Bonne chance, criais-je, et je voyais une mer de flammes et de fumées au ciel ; et, à gauche, à droite, toutes les richesses flambant comme un milliard de tonnerres. »
(J’avais laissé mon livre au bureau, mais il m’a suffi de taper « Rimbaud Une Saison en Enfer texte » pour trouver le passage de "Mauvais Sang "que je voulais citer.)
L’horrible « travailleur » (c’est en ces termes qu’Arthur appelle le poète à venir) voit peut-être l’incendie de la même façon que Marx dans La Guerre Civile en France : qu’importent les biens quand il s’agit d’abord des vies humaines ? Voici donc pour finir un extrait (toujours cité d’après Internet, cette fois une Université française qui met Marx gratuitement en ligne, au contraire des éditeurs « marxistes » mais c’est naturel, Marx n’ayant jamais été marxiste) :
« Le Paris ouvrier, en accomplissant son propre, son héroïque holocauste, a entraîné dans les flammes des immeubles et des monuments. Alors qu’ils mettent en pièces le corps vivant du prolétariat, ses maîtres ne doivent plus compter rentrer triomphalement dans les murs intacts de leurs demeures. Le gouvernement de Versailles crie : « Incendiaires ! » […] La bourgeoisie du monde entier contemple complaisamment le massacre en masse après la bataille, est convulsée d’horeur devant la profanation de la brique et du mortier ! »
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