« Ce dont notre vie a besoin, ce
n’est ni d’idiologie ni d’opinions creuses ; c’est plutôt de ceci :
que nous vivions sans trouble. » Ainsi Karl Marx traduit-il un passage de
la lettre d’Epicure à Pythoclès. Le terme « idiologie » a été
systématiquement transformé en « idéologie » qui est un terme moderne
apparu seulement à la fin du XVIIIème siècle, et revendiqué par les
« Idéologues » comme Destutt de Tracy, dans l’optique positive d’une
« science des idées ».
Comme le rappelle Maximilien Rubel,
l’éditeur du volume III de la Pléiade, « si les Grecs avaient pu le moins
du monde parler idéologie, nous devrions lire un composé d’ἰδέα, non pas d’ἲδιος
(propre, personnel, particulier). (…) Voici le texte que Marx avait sous les
yeux : οὐ γάρ ἰδιολογίας
καὶ κενῆς δόξης ὁ βιός ἠμῷν ἒχει, « car notre vie n’a pas besoin de rhétorique personnelle ni de vaine
gloire ». C’est du moins le sens que pouvait lui suggérer la traduction
latine de Gassendi placée en regard du texte grec [faut-il supposer que Marx ne lisait pas le grec,
qu’il cite pourtant quelques paragraphes plus haut: des vers d’Eschyle, il est vrai déjà cités par Aristote justement dans un
but critique à l’égard de la crédulité populaire] : « Rien ne sert de discourir publiquement de
ce qui nous est personnel, propria
jactitare, ni de désirer impatiemment une vaine gloire, inanique gloria gestire. On peut
supposer que Marx, peu satisfait de cette interprétation mais n’alléguant pas
de sens nouveau, a simplement décalqué le terme grec : Nicht der Idiologie und der leeren
Hypothesen hat unser Leben not… » (« Histoire d’un IOTA, page
1509.)
Epicure ne faisait que traduire anthropologiquement ce qu’Héraclite avait formulé
philosophiquement ainsi :
DK
B2, M 23. Sextus Empiricus, Contre les
savants, VII, 133.
διὸ δεῖ ἒπεσθαι τῷ ξυνῷ.
τοῦ λόγου δ᾽ ἐοντος ξυνοῦ,
ζωόυσιν οἱ πολλοὶ ὡς ἰδίαν ἒχοντες φρόνησιν.
« Il faut obéir au commun; or, bien
que le λόγος
soit commun, les nombreux vivent comme s’ils avaient leur propre entendement
privé. »
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