Héraclite ferait partie
de nos jours des « radicaux », matérialistes au fond de l’âme, et
dieu sait si elle est profonde, chez eux, assez pour accepter même
l’antimatière des morts. Ces gens-là ne
croient en rien, moins encore que d’honnêtes terroristes, lesquels eux, au
moins, respectent les plus aveugles croyances, au nom d’une ancestrale
obéissance aux autorités, d’autant plus puissantes que rendues
incompréhensibles. Ces gens-là, qui n’y croient donc pas, au salut des âmes, il
en existe quelques-uns par siècle, au mieux. Et peut-être pour pas très
longtemps encore, à en juger le train où le « monde » va. Les appeler
« philosophes », c’est encore trop dire, surtout si l’on considère à
quelle vitesse la « philosophie » s’est décomposée. La vérité, c’est
qu’aujourd’hui plus personne n’est demandeur en la matière. Il manque
cruellement tout besoin, et par conséquent
toute vocation. Aucune mission, de ce côté (de la vérité), ne ne peut plus
apparaître sensée, et donc il n’y a plus aucun message à délivrer, sinon
peut-être celui de se délivrer des messages tout prêts. Le mot a toujours
évoqué la messe qui finit en se congédiant elle-même : Ite missa est.
Il n’est donc pas sorcier de comprendre pourquoi Héraclite fut tenu à distance, comme si « l’on » avait eu peur de toucher à ce feu qui brûle plus que les mains, — un feu qui brûle tous les feux visant à arrêter sa communication panique, tous les obstacles au demeurant vains car le feu se repose tout en se transportant sans cesse. Ses transports sont son lieu propre. Si la rivière « figure » le sens de l’existence, c’est parce que cette existence, où tout coule sans cesse, nul n’y entrera deux fois, et pas même une seule ; on n’aura jamais eu le temps de vivre, parce qu’on y est plongé jusqu’au cou, dans ces eaux toujours « autres et autres ». Héraclite serait donc bien le philosophe du « flux ». C’est-à-dire de ce temps qui conjugue la dissémination en pure perte et le surgissement impromptu. L’instant est pris dans un tourbillon dont l’œil est étrangement calme : repos dans la conflagration même. Cela se passe en un éclair.
L’Histoire vient toujours après coup mais cet après coup rétroagit sur toute perception de « l’époque », ce fameux Zeitgeist que personne n’aura jamais pu rencontrer en personne, et surtout pas sur le coup ! L’historicité hante l’époque comme un spectre. Non seulement parce que les spectres font sans cesse retour (spectres de l’avenir compris, communisme ou « démocratie »), mais… La période s’est interrompue, le « sed etiam », « mais encore » restant suspendu à l’avenir — qui tarde ; comme toute périodisation (distribution en âges, temps modernes ou pas) devient impossible en toute rigueur, sans pourtant conclure à la confusion « postmoderne » qui a déjà fait long feu. Il va falloir apprendre à conjuguer l’archi-archaïque avec l’absolument moderne, car l’ennemi reste là, dans nos murs et sur nos écrans & fenêtres d’ordinateur : celui que les derniers philosophes (Nietzsche, Heidegger) ont appelé « nihilisme », occidental avant tout même s’il s’est répandu, mondialisé partout. Le philosophe de l’avenir ne peut être que l’envers absolu des fondamentalistes de tout bord, religieux comme athées.
Finitude infinie: la limite protège (de) l’infini pour le garder tel. Elle agit ainsi pour l’amour de ce qu’elle s’interdit à elle-même. La limite se garde d’être infinie : elle s’arrête précisément là où « commence » l’infini. Comprendre ainsi que l’hybris qui menace plus que l’incendie, c’est de faire disparaître toute limite, d’effacer ce seuil qui est le dernier garde-fou de l’infini. Chaos, condition de possibilité de toute organisation infinie. C’est comme avec toute guerre qui se nourrit d’elle-même, se dévore elle-même en suscitant la violence nécessaire pour se développer. Mythe de la croissance infinie, la puissance ne pouvant « vivre » qu’en régime d’accroissement vers toujours plus de puissance — sens de la Wille zur Macht, qui convient mieux aux corporations qu’aux nations nécessairement limitées, ne serait-ce que territorialement. Le toujours-plus traduit toujours le supplément métaphysique. Logique de la force mesurée à ses effets : un très petit chiffre peut tout faire basculer (la majorité, par exemple, en démocratie). Mais le plus traduit d’abord le manque à gagner que serait la vie sans plus. Donc une vie de plus, un surhomme, etc. Heidegger a raison, tout cela pue la sacristie, camouflée en « philosophie de la vie » ! Plutôt le néant que n’importe quoi !
Il n’est donc pas sorcier de comprendre pourquoi Héraclite fut tenu à distance, comme si « l’on » avait eu peur de toucher à ce feu qui brûle plus que les mains, — un feu qui brûle tous les feux visant à arrêter sa communication panique, tous les obstacles au demeurant vains car le feu se repose tout en se transportant sans cesse. Ses transports sont son lieu propre. Si la rivière « figure » le sens de l’existence, c’est parce que cette existence, où tout coule sans cesse, nul n’y entrera deux fois, et pas même une seule ; on n’aura jamais eu le temps de vivre, parce qu’on y est plongé jusqu’au cou, dans ces eaux toujours « autres et autres ». Héraclite serait donc bien le philosophe du « flux ». C’est-à-dire de ce temps qui conjugue la dissémination en pure perte et le surgissement impromptu. L’instant est pris dans un tourbillon dont l’œil est étrangement calme : repos dans la conflagration même. Cela se passe en un éclair.
L’Histoire vient toujours après coup mais cet après coup rétroagit sur toute perception de « l’époque », ce fameux Zeitgeist que personne n’aura jamais pu rencontrer en personne, et surtout pas sur le coup ! L’historicité hante l’époque comme un spectre. Non seulement parce que les spectres font sans cesse retour (spectres de l’avenir compris, communisme ou « démocratie »), mais… La période s’est interrompue, le « sed etiam », « mais encore » restant suspendu à l’avenir — qui tarde ; comme toute périodisation (distribution en âges, temps modernes ou pas) devient impossible en toute rigueur, sans pourtant conclure à la confusion « postmoderne » qui a déjà fait long feu. Il va falloir apprendre à conjuguer l’archi-archaïque avec l’absolument moderne, car l’ennemi reste là, dans nos murs et sur nos écrans & fenêtres d’ordinateur : celui que les derniers philosophes (Nietzsche, Heidegger) ont appelé « nihilisme », occidental avant tout même s’il s’est répandu, mondialisé partout. Le philosophe de l’avenir ne peut être que l’envers absolu des fondamentalistes de tout bord, religieux comme athées.
Finitude infinie: la limite protège (de) l’infini pour le garder tel. Elle agit ainsi pour l’amour de ce qu’elle s’interdit à elle-même. La limite se garde d’être infinie : elle s’arrête précisément là où « commence » l’infini. Comprendre ainsi que l’hybris qui menace plus que l’incendie, c’est de faire disparaître toute limite, d’effacer ce seuil qui est le dernier garde-fou de l’infini. Chaos, condition de possibilité de toute organisation infinie. C’est comme avec toute guerre qui se nourrit d’elle-même, se dévore elle-même en suscitant la violence nécessaire pour se développer. Mythe de la croissance infinie, la puissance ne pouvant « vivre » qu’en régime d’accroissement vers toujours plus de puissance — sens de la Wille zur Macht, qui convient mieux aux corporations qu’aux nations nécessairement limitées, ne serait-ce que territorialement. Le toujours-plus traduit toujours le supplément métaphysique. Logique de la force mesurée à ses effets : un très petit chiffre peut tout faire basculer (la majorité, par exemple, en démocratie). Mais le plus traduit d’abord le manque à gagner que serait la vie sans plus. Donc une vie de plus, un surhomme, etc. Heidegger a raison, tout cela pue la sacristie, camouflée en « philosophie de la vie » ! Plutôt le néant que n’importe quoi !