Si, comme l’a écrit Gilles Deleuze, l’une des fonctions de la fiction est d’inventer un peuple qui manque alors c’est ce peuple que nous représentons, c’est de ce peuple dont nous devons être le Parlement, le Parlement d’« un peuple qui manque ».
Ce peuple qui manque, il y a bien des manières de se le représenter : ce sont bien sûr les peuplades engendrées par l’imagination des écrivains, le fameux bestiaire kafkaïen, les marins de Melville, les somnambules de Broch, les fantômes de Boulgakov, les gens de Dublin de Joyce... Mais ceux-là n’ont pas besoin de notre aide... Le peuple qui manque c’est aussi et surtout le million de Tutsis massacrés au cours du génocide au Rwanda, et ceux qui ont survécu dont on dit qu’ils sont principalement menacés d’amnésie et de mutisme, le peuple qui manque c’est aussi le petit peuple des Yanomanis d’Amazonie qui disparaît jour après jour, cerné par les flammes et les épidémies avec la complicité de notre silence, c’est encore le peuple ogoni dont les compagnies pétrolières détruisent la terre et l’environnement, c’est aussi le peuple de Tchernobyl et celui de Sierra Leone, le peuple de tous ceux, qu’ils soient kurdes, arméniens, tibétains ou palestiniens, à qui manque la terre, et le grand peuple des réfugiés de toutes les races et de tous les pays, les déplacés, les apatrides, dont les migrations décrivent l’histoire inversée des guerres et des conquêtes...
Ce peuple qui manque, il y a bien des manières de se le représenter : ce sont bien sûr les peuplades engendrées par l’imagination des écrivains, le fameux bestiaire kafkaïen, les marins de Melville, les somnambules de Broch, les fantômes de Boulgakov, les gens de Dublin de Joyce... Mais ceux-là n’ont pas besoin de notre aide... Le peuple qui manque c’est aussi et surtout le million de Tutsis massacrés au cours du génocide au Rwanda, et ceux qui ont survécu dont on dit qu’ils sont principalement menacés d’amnésie et de mutisme, le peuple qui manque c’est aussi le petit peuple des Yanomanis d’Amazonie qui disparaît jour après jour, cerné par les flammes et les épidémies avec la complicité de notre silence, c’est encore le peuple ogoni dont les compagnies pétrolières détruisent la terre et l’environnement, c’est aussi le peuple de Tchernobyl et celui de Sierra Leone, le peuple de tous ceux, qu’ils soient kurdes, arméniens, tibétains ou palestiniens, à qui manque la terre, et le grand peuple des réfugiés de toutes les races et de tous les pays, les déplacés, les apatrides, dont les migrations décrivent l’histoire inversée des guerres et des conquêtes...
Très souvent depuis le Moyen Age, les villes, plus libérales en cela que les Etats, ont accueilli ceux qui étaient bannis, protégé ceux qui étaient menacés. Il suffit de penser à Dante, à Rabelais, à Voltaire. Au cours de ce siècle, le surréalisme, le cubisme, toutes les grandes aventures de la modernité ont uni la cité et le cosmos, la ville et le monde, ont été, au sens strict des aventures urbaines, des produits de l'hospitalité. Le Parlement international des écrivains a lancé en novembre 1994 un appel à la constitution d'un réseau de villes refuges capables d'offrir un asile aux écrivains et aux artistes menaçés. S'appuyant sur une tradition établie au Moyen Age qui faisait des villes un sanctuaire, un rempart contre les vengeances de sang.
A l'appel du Parlement International des écrivains, plus de quatre cents villes appartenant aux 37 Etats membres du Conseil de l'Europe ont rédigé et voté en 1995, une "Charte des villes refuges". Parmi elles une cinquantaine ont accueillis des écrivains depuis 1997: Berlin, Strasbourg, Barcelone, Mexico, PAris, Amsterdam, Helsinki, Göteborg, Florence... Face à l'archipel du terrorisme international, il ne suffit plus d'en appeler au respect des droits de l'homme, il faut reconquérir de nouveaux territoires libres, des zones franches de l'imaginaire, non pas des réserves où finirait de s'exténuer l'esprit libre, mais des caps, des pointes, pour recommencer l'aventure de la citoyenneté. Il faut créer des agencement nouveaux, trouper l'espace européen de villes ouvertes. Agencer cela veut dire, être attentifs aux connections plutôt qu’aux systèmes, aux frontières plutôt qu’aux territoires.
Le réseau des villes refuges n’est pas seulement une arche de Noë pour les écrivains persécutés, c’est un archipel, un dispositif viral qui permet de réintroduire de la diversité... Le réseau des villes refuges a connu toutes sortes de définitions, de métaphores ; chacun au Parlement a sa manière de le dire : pour Soyinka c’est un éco-système qui permet de transplanter dans un sol propice des semis, des plans menacés par la désertification, pour Derrida qui s’en est expliqué dans un livre Cosmopolites de tous les pays encore un effort, c’est un laboratoire d’une citoyenneté nouvelle, Glissant définit les villes refuges comme les refuges « des voix du monde »...
Multiplier les villes refuges c'est redonner droit de cité aux créateurs frappés d'interdit, briser leur isolement en créant autour d'eux de nouvelles solidarités, inventer de nouveaux réseaux, prendre en charge la défense non seulement des individus mais aussi de leurs oeuvres en favorisant lectures, traductions, diffusion. L'idée est belle. Elle porte avec elle une autre vision de la ville, de ce qui la rassemble et l'invente. Un autre régime de citoyenneté. Elle offre une issue concrète à l'égoïsme des Etats et au conservatisme des opinions. A nous d'en faire une réalité...
Je rouvre ce blog, nouveau puisque désormais "connecté", sur cet appel aux "villes-refuges" déjà daté, 1997 comme le livre de Derrida "Cosmopolites de tous les pays, encore un effort!" qu'il m'avait donné avec une dédicace resté à ce jour illisible. 97, c'était l'année de la décade de Cerisy ("L'animal autobiographique"), et celle de ma double vie, où j'avais pris New York pour une ville-refuge en même temps qu'interdite.
Il me l'adressait, ce petit livre tout fraîchement pondu, avec une sorte de clin d'oeil: comme si, des "cosmopolites", je n'avais plus à démontrer que j'en étais.
Il n'y a pas si longtemps, c'était un terme pourtant tenu pour une injure, et généralement adjoint à quelque saloperie antisémite.
Le cas de Kant a de quoi faire réfléchir. A Königsberg, devenu Kaliningrad, à quoi n'importe quel esprit "éclairé" (européen) pourrait-il aspirer, sinon à être cosmopolite?
De même qu'à Strasbourg, ne serait-ce que pour faire son devoir de "citoyen européen".
La question qui m'importune à présent, je me contenterai aujourd'hui de la poser, quitte à la déposer un autre jour.
S'il semble aujourd'hui impossible de distinguer entre "réfugiés" et "migrants (économiques)", c'est qu'il n'y a pas un seul lieu (ville ou village ou métropole) qui puisse être tenu pour un refuge inconditionnel, pas plus qu'il n'y a jamais eu d'hospitalité inconditionnelle.
Derrida écrit ceci, qui énonce la vérité de la "culture" occidentale depuis Homère:
"L'hospitalité, c'est la culture même et ce n'est pas une éthique parmi d'autres. En tant qu'elle touche à l'ethos, à savoir à la demeure, au chez-soi, au lieu du séjour familier autant qu'à la manière d'être, à la manière de se rapporter à soi et aux autres, aux autres comme aux siens ou comme à des étrangers, l'éthique est hospitalité ..." (Jacques Derrida, o.c., Galilée, 1997, p.42)
Héraclite décrit l'ethos comme un "démon" pour l'humanité: ce qui la commande et lui donne lieu d'être (tel ou tel).
Or cela n'est pas et ne saurait se résumer à un refuge. Ou alors que ce soit un refuge de haute montagne: entre deux mouvements, montée ou descente (c'est égal, il n'y a qu'un chemin). Un refuge pour clandestins, qui resteront à certains égards, même "légalisés", "naturalisés", sans papier, sans pays.
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