- L’université même en son concept supérieur a vécu, elle n’est qu’une survivance, dès lors que l’universalité a fait naufrage, entraînant avec elle le corps des « humanités ». Mais, tout en marchant par allées jaunies de feuilles mortes, je me représentais la situation – la mienne, tant que suis un enseignant « actif » - ainsi : d’une part les « Antiquités » (langues mortes, époques pré-modernes) sont la seule culture que je tienne pour « vivante », et j’en suis le rejeton en tout & pour tout, après avoir vécu en Ulysse, Alcibiade, Antigone, Héraclite, et même Platon – mais, et c’est le complément nécessaire de la première part dans la mesure où elle est la totalité (de la « culture »), je me refuse obstinément à tenir ce qui se consomme aujourd’hui pour autre chose que des produits de synthèse. Dans un sens, ma liberté de manœuvre s’est réduite à presque rien, car j’estime vain de vouloir faire partager mes passions (c’en sont de violentes), et même néfaste : fatalement elles tourneront au poids mort qui entraîne au fond, et je ne tiens pas à être identifié à une antiquité, si respectable fût-elle par ailleurs. Mais ce « presque-rien » reste ouvert à une autre possibilité : ce que Hölderlin appelait la « sobriété junonienne ». Junon, c’est Héra en grec, la femme de Zeus, présente dans le nom d’Héraclite. Sobriété ne signifie pas simplification, ni le rigorisme puritain de ce poète qui tourne souvent en prédicateur, et finit en ermite en haut de sa Tour. Pour les curieux qui viennent le voir comme au zoo, « le poète » (il a même perdu son nom) écrit sur commande des « tableaux » des saisons, seul « sujet » qui puisse offrir un terrain commun – mais tout ne s’est-il pas défait à partir du moment où il se trouve abandonné de tous ? Où son métier n’a plus lieu d’être ? Disparition du poète – disparition du « peuple », tournant soit au petit-bourgeois (ennemi de toute poésie), soit au « travailleur » qui n’a pas de temps à perdre avec des poèmes qu’il ne comprend pas. Un luxe de déclassé, pour ainsi dire. Nécessairement décadents ou parasites dans un monde où la seule valeur reconnue universellement est « l’économie » (le profit), les « poètes » fondent-ils encore quoi que ce soit de durable ? A la manière de l’aède peut-être fictif Homère qui a donné aux Grecs leurs dieux, en ayant inventé, c’est-à-dire formé l’imaginaire grec : mortels & immortels inséparables, pas confondus mais pris dans la mêlée des histoires, humaines d’abord et c’est en quoi Homère a lancé les « humanités », ce mythe des « hommes supérieurs ».
Monday, March 28, 2016
Fin des "Humanités"
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