Sunday, March 26, 2017
Friday, March 17, 2017
Pourquoi les philosophes ne voyagent pas.
« Il est superflu de constater que
les voyageurs, quand ils écrivent, sont dépourvus de grandeur (cause et effets
sont mêlés ici), et combien celle-ci est courante chez les philosophes, qui
connaissent si peu la terre. On en trouve parmi eux qui, tellement pris de
cette passion de la répétition, ont fini par ne plus voir que l’être en chaque
être et y arrivent de bonne foi. Sa femme, un chien, un hibou, un saule :
être, être, être. Il voit leurs différences, mais l’être répété l’enivre
par-dessus toute différence. »
Henri Michaux, Ecuador, Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, vol.
I, p. 241.
Friday, March 3, 2017
habiter penser
Une
nouvelle fois, je me suis senti tenu de relire de près, calmement, à tête
reposée « Bâtir Habiter Penser ».
N’y ai découvert qu’une chose : en dialecte souabe, le cercueil se dit
« l’arbre du Mort ». Sinon,
je me suis demandé si le trio du titre devait se lire comme un exemple de
parataxe. Comme, dans « la » langue de Heidegger, le verbe se place à
la fin, c’est bien « penser » qui compte en premier. Car on peut bien
habiter sans bâtir, bâtir sans habiter, mais ni bâtir ni habiter sans penser,
semble penser le penseur. A l’inverse, penser se dispense aisément de bâtir et
même d’habiter, il n’est que de voir Socrate, ce vagabond qui ne tient pas en
place et s’adresse au premier venu pourvu qu’il veuille bien l’écouter; un être
encore plus étrange qu’un simple étranger, puisqu’il ne quitte jamais
l’enceinte de sa cité, seul lieu qui lui donne d’exister, soit de parler
ouvertement, dehors, avec d’autres hommes et non avec des arbres. Un tel
énergumène ne peut apparaître que totalement déplacé (et inquiétant) au milieu de tous ceux qui se croient une
place au soleil assurée. La « place au soleil » (le mot grec
désignera le saint des saints, la présence)
m’a aussitôt fait penser à ce chien de Diogène qui avait élu domicile dans un
tonneau. Socrate n’a rien écrit, ce qui
fait de lui le penseur le plus pur de l’histoire, écrit donc Heidegger,
car écrire, c’est déjà se protéger du vent de la chose même, c’est déjà occuper
une place, celle qui devrait rester vacante pour pouvoir jouer avec ce qu’il y a là. Habiter, c’est tenir cette place, tenir comme on tient
bon face aux adversités, envers et contre tout, et la tenir aussi intacte que possible, sans jamais rien y
mettre, rien ni personne surtout, de sorte qu’à la fin, peut-être, rien n’aura eu lieu que le lieu. A la
fin, peut-être, mais faut-il toujours identifier lieu et fin ? Le souci du
rassemblement, ou plutôt la peur de la dispersion, guide Heidegger dans son
choix du pont sur le Rhin au point qu’il en oublie que nul n’habite un pont, à
la rigueur sous les ponts, quitte à ne plus compter parmi les habitants
proprement dits (recensés, ainsi). Un habitant se définit-il alors par
l’habitation, maison ou hôtel, prison ou hôpital, ou bien n’est-ce pas habiter
qui devrait qualifier l’habitant, comme étudier, l’étudiant ? Que faire
des sans-domicile-fixe, appelés aussi « sans-abri », ce qui, au passage, constituerait une traduction
parfaite pour aletheia, que les
Latins ont verrouillée en veritas,
Descartes en certitude, et l’économie
planétaire en sécurité d’abord et avant tout ? Les
sans-abri n’habitent-ils pas sur terre au même titre qu’un autre ? Ne
pensent-ils pas comme tout être humain ? Et même, ne bâtissent-ils pas
leurs abris avec plus de prévenance et d’ingéniosité que nos promoteurs de béton
armé ? Les choses ont une place,
seul l’habitant (l’existant) n’en a pas. Pas naturellement, non, ça ne va
jamais de soi, la place. Il faut commencer par s’en faire une. Car le dernier
mot revient au poète : « L’homme est devenu inhabitable à
soi-même », je cite de mémoire Henri Michaux.
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