Friday, March 3, 2017

habiter penser

Une nouvelle fois, je me suis senti tenu de relire de près, calmement, à tête reposée « Bâtir Habiter Penser ». N’y ai découvert qu’une chose : en dialecte souabe, le cercueil se dit « l’arbre du Mort ». Sinon, je me suis demandé si le trio du titre devait se lire comme un exemple de parataxe. Comme, dans « la » langue de Heidegger, le verbe se place à la fin, c’est bien « penser » qui compte en premier. Car on peut bien habiter sans bâtir, bâtir sans habiter, mais ni bâtir ni habiter sans penser, semble penser le penseur. A l’inverse, penser se dispense aisément de bâtir et même d’habiter, il n’est que de voir Socrate, ce vagabond qui ne tient pas en place et s’adresse au premier venu pourvu qu’il veuille bien l’écouter; un être encore plus étrange qu’un simple étranger, puisqu’il ne quitte jamais l’enceinte de sa cité, seul lieu qui lui donne d’exister, soit de parler ouvertement, dehors, avec d’autres hommes et non avec des arbres. Un tel énergumène ne peut apparaître que totalement déplacé (et inquiétant) au milieu de tous ceux qui se croient une place au soleil assurée. La « place au soleil » (le mot grec désignera le saint des saints, la présence) m’a aussitôt fait penser à ce chien de Diogène qui avait élu domicile dans un tonneau.  Socrate n’a rien écrit, ce qui fait de lui le penseur le plus pur de l’histoire, écrit donc Heidegger, car écrire, c’est déjà se protéger du vent de la chose même, c’est déjà occuper une place, celle qui devrait rester vacante pour pouvoir jouer avec ce qu’il y a là. Habiter, c’est tenir cette place, tenir comme on tient bon face aux adversités, envers et contre tout, et la tenir aussi intacte que possible, sans jamais rien y mettre, rien ni personne surtout, de sorte qu’à la fin, peut-être, rien n’aura eu lieu que le lieu. A la fin, peut-être, mais faut-il toujours identifier lieu et fin ? Le souci du rassemblement, ou plutôt la peur de la dispersion, guide Heidegger dans son choix du pont sur le Rhin au point qu’il en oublie que nul n’habite un pont, à la rigueur sous les ponts, quitte à ne plus compter parmi les habitants proprement dits (recensés, ainsi). Un habitant se définit-il alors par l’habitation, maison ou hôtel, prison ou hôpital, ou bien n’est-ce pas habiter qui devrait qualifier l’habitant, comme étudier, l’étudiant ? Que faire des sans-domicile-fixe, appelés aussi « sans-abri », ce qui, au passage, constituerait une traduction parfaite pour aletheia, que les Latins ont verrouillée en veritas, Descartes en certitude, et l’économie planétaire en sécurité d’abord et avant tout ? Les sans-abri n’habitent-ils pas sur terre au même titre qu’un autre ? Ne pensent-ils pas comme tout être humain ? Et même, ne bâtissent-ils pas leurs abris avec plus de prévenance et d’ingéniosité que nos promoteurs de béton armé ? Les choses ont une place, seul l’habitant (l’existant) n’en a pas. Pas naturellement, non, ça ne va jamais de soi, la place. Il faut commencer par s’en faire une. Car le dernier mot revient au poète : « L’homme est devenu inhabitable à soi-même », je cite de mémoire Henri Michaux.    

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