Tuesday, July 7, 2009

Le gruau d'Héraclite contre la Crise

Gruau n.m. (1390 ; gruel XIIe ; frq grût)
1. Grain d’avoine, privé de son. Plat à base de gruau.
2. Fine fleur de froment.

Il existe deux versions de la même « anecdote », l’une, brève, due à Plutarque dans son traité « Du bavardage », l’autre, plus longue et également plus tardive, de Thémistius, philosophe péripatécien qui vécut au IVème siècle après J.-C. Plus moralisante, cette dernière a l’avantage de restituer le contexte historique : Ephèse, où vécut toute sa vie Héraclite (pas toujours reclus dans le Temple d’Artémis la Vierge farouche), était alors assiégée par les troupes perses… Or « les Ephésiens étaient habitués à vivre dans l’abondance et le plaisir. » Le siège ne leur fit pas changer de mode de vie et « ils n’en continuèrent pas moins à se divertir comme de coutume. Mais les provisions commencèrent de faire défaut dans la cité et, quand la faim se fit durement ressentir, les habitants se réunirent discuter voir ce que l’on pourrait faire pour remédier à la pénurie ; personne cependant n’osa proposer de mettre un frein à leur train de vie. Lorsqu’ils furent tous réunis, un homme nommé Héraclite prit du gruau d’orge, y mêla de l’eau et le mangea en restant assis parmi eux ; cela fut une leçon silencieuse donnée à tout le peuple. » Grâce au gruau d’Héraclite, conclut le narrateur, les Perses replièrent bagages, ayant compris qu’ils ne pouvaient vaincre des hommes qui savaient se contenter de ce qu’il y a, ainsi que disait déjà Plutarque qui présente la scène de manière plus philosophique : le geste d’Héraclite est bien plus parlant que tout un discours, dit-il en écho à Heidegger pour qui seul peut parler celui qui sait se taire. Une autre anecdote, rapportée cette fois par Diogène Laërce, dit que qu’un débateur ayant demandé à Héraclite pourquoi il gardait le silence, il répondit : « c’est pour te faire parler, âne bâté ! » Mais la leçon reste d’abord politique (comme toute la pensée d’Héraclite). Le même Diogène Laërce cite une pseudo-lettre du « roi Darius, fils d’Hystape » aurait adressée « au philosophe Héraclite d’Ephèse », où il l’invite à sa Cour pour « être initié par toi à la science des Grecs ». Il lui fait même valoir que nul n’est prophète en son pays et que « les Grecs en général n’accordent pas aux savants toute l’estime qu’ils méritent ». Mais ces flatteries n’ont aucun effet : « Tous les hommes aujourd’hui s’écartent de la vérité et de la justice » : tous, Grecs et non-Grecs, ne sont assoiffés que de ce qui ne cesse de les altérer, pouvoir et honneurs. « Quant à moi, je me contente d’un rien et je vis à ma fantaisie. »

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