Friday, September 13, 2013

En souvenir de Coco



J'allais parler de mon enfance et de l'absence de souvenirs comme si ce temps tout entier s'était dérobé, pas effacé mais à me réserver peut-être dans l'avenir. Une analyse ne me les rendra jamais au juste que sous la forme de représentations dont je serais fabriqué acteur. C'est ce que je m'étais dit autrefois, mais évidemment l'analyste compétent, l'autorité en la non-matière de la psyché, m'a tout de suite renvoyé à mon absence d'études. Je n'y étais pas, on n'entreprend pas une analyse qui va durer peut-être toute la vie juste pour retrouver des souvenirs d'enfance, d'autant plus qu’ils n'ont pratiquement rien d'intéressant ni d'intime. Et puis, de mon côté, je ne sais pas exactement de quel côté ni même si j’en ai un ou sinon s'il n’habite pas à côté de mes pompes, moi.... Il ne faut pas s'arrêter.. Il faut continuer. Peut-être la seconde sortie au jour reviendra-t-elle enfoncée dans la fuite des temps, le temps du jour étant la fuite tout à la fois et pourtant tout séparé mais aussi parallèle en sens inverse, ainsi donc la séance était le double sens et pourtant rien qui n’ait été répété. Une fois pour toutes dans les siècles des siècles & lui, mon dieu pendant tout ce temps qu'as-tu fait ? Blanchot je dictais pas grand-chose et voilà blanc chose qui ressort à point nommé. Je me demande si je vais continuer à dicter la ponctuation, je ne crois pas car c'est lassant mais pourquoi suis-je si las alors que je suis censé ou plutôt insensé être guéri ? J'ai ajouté le ? car je ne sais pas si c'est une question vu que je ne sais ce que veut dire guéri ; si c'est l'avenir revenu à la normale, merci bien je préfère la maladie. Le Dasein, elle avait commencé par rendre ça par hasard et c'est un peu ça quand je dis qu'il a été jeté comme à la poubelle par tous les temps, tous les êtres & même par avion. Mais c'est par bateau, un vieux cargo caboteur, que je suis arrivé le vendredi 13 septembre 1963. De là une date solide, à peu près tout ce que je sais sur mon arrivée en Égypte. Alexandrie zéro souvenirs sinon ceux de mon frère qui tournaient autour de notre chienne de vie d'épagneul qu'on venait de me donner juste avant le voyage de la part de ma reine des périphrases, mais ce n'était pas du tout ma reine même ciel s'appelait Divine en grec, le prénom lui avait été donné probablement par son papa, un philosophe ou plutôt un historien de la philosophie douteuse, enfin ce monsieur avait une bibliothèque consistant surtout en des cartes le re-né notre seule gloire nationale que la Sorbonne a excommunié avant de l'empierrer en un dogme poussiéreux, donc je n'ai pas hésité et c’est un héritage que je n'ai jamais fait m'étant toujours pensédéshérité desdichado etc. mais cela valait mieux probablement à sa mort comme j'avais dit de ce malheureux professeur de philosophie à la Sorbonne pas un livre ne m'est échu sur la tête et ciel nous avons passé l'aspirateur ce matin or je suis en train de calomnier la poussière en la comparant à ce philosophe en pantoufles. Voyant que j'ai glissé je reviens à mes moutons, soit au chien qui s'appelait Coucou, non pas coucou mais Coco comme un communiste, c'était d'ailleurs l'abréviation du nom aristocratique Coriolan que la marraine Divine lui avait initialement donné, corps au lion sur un air de Champollion. Ce chien d'aristo communiste était admirablement éduqué même s'il était complètement fou et pendant les trois jours que dura la traversée de Venise à Alexandrie il s'était retenu mais à peine arrivé sur le quai, il s’est dit okay et s’est donc mis à inonder le premier palmier venu. Arrivé en Égypte je vous dis, il n'est pas difficile de me mettre à la place de mon chien : pendant deux ans pouvoir pisser sur le premier palmier venu en pleine rue ! Deux ans de bonheur intense absolu et peut-être est-ce la raison pour laquelle je n'avais aucune raison de garder des souvenirs. Depuis toujours la mémoire est la mémoire du mal, de ce qui fait mal à soi comme à un autre. 

Source: Livre des Morts, extraits du chapitre 41 "Textuellement"m 22 novembre 2005.

 

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