Wednesday, August 10, 2016

Toutes les couleurs de l'arc-en-ciel

On peut voir au-dessus des rideaux, des raies de couleurs. Violet-indigo-bleu-vert-jaune-orange-et-rouge. Autrefois, quand j’attendais ma mère dans mon lit, elles étaient là, mais plus colorées, plus vives, maintenant elles me semblent plus fades. J’attendais, sachant qu’il faudrait se lever pour aller à l’école. Mais maintenant pourquoi ? Bon, aujourd’hui aurai rendez-vous à la Muette. Donc se lever. Pas envie : debout froid miroir habits marcher parler revenir lit à nouveau. Toujours la même musique. Ce qui compte dans la musique c’est le mouvement ; les notes sans le mouvement, c’est comme un regard aveugle. Mettre de l’appassionato dans ses actes. Bouger le pied d’un endroit trop chaud du lit à un endroit plus froid pour simplement avoir moins chaud. La même musique. On bouge pour un instant de soulagement qui ne durera pas le temps de se rafraîchir vraiment. C’est comme de voir des choses ou des gens nouveaux, ils sont nouveaux trois secondes et parce qu’on est là, ils deviennent aussitôt usés et fades. La même musique : comment sont les choses quand je ne suis pas là.
Lui dirai tout ça, il écoutera admiratif passionné. Tu parles ! Son regard tourné vers autre chose, comment savoir si même les sons qui sortent de ma bouche lui parviennent. C’est comme si j’étais dans une vitrine, de l’autre côté d’une glace, en train de former avec mes lèvres des mots qu’il regarde bouche bée s’envoler en buée. Langage de muets : gestes précis, empreins d’une signification précise, ou encore langage obscène, toujours le même, totalement mécanique. Tout faire pour ne plus penser, ne plus avoir à inventer le mot d’après. Donner la réplique, comme dans une répétition théâtrale : « Oui, je t’écoute » - « C’est totalement vrai et senti » - Non. Si c’est ça, ce n’est pas la peine. Ou il est con, ou il ment. De toute manière ce ne sera pas drôle. Mieux vaut rester au lit. Personne n’attend, ou si on le fait, c’est par ennui, pour le cul, par besoin de parler. De toute façon impossible parler. Tu le sais, diras rien, écouteras, répèteras, perroquet. Ne verras même pas, regarderas les affiches, comme si tu n’étais pas là. Dire « c’est vrai /  c’est faux », en tombant sur le temps juste comme en solfège - question de tempo, toujours la même musique.
Se lever, se maquiller, le miroir, ça donnera un genre, un visage, trop de noir ou alors vulgaire. Serai femme peut-être. Sûr puisque cul. Non, pas femme, putain, mais putain égale femme. Non, putain égale cul. Pas confondre. Serai cul, pas femme, puisque femme féminine douce jolie, pas moi. Peut-être aussi homme. Maquiller fatiguant, pas moi ce noir ce rouge cette joue cette poudre ces habits communs à tous.

Dehors les arbres sont calcinés et il ne passe qu’un méchant vent froid sur la terre bleuie d’orties. On fait l’amour, mais c’est comme la guerre, le plomb dans les ailes et les nerfs en boule. Pourtant certains obstinés, invisibles dans leurs bandelettes parcheminées, vont, contre vents et marées, à la recherche de quelque Chose qu’ils n’ont jamais connue, ou qu’ils ont oubliée.
Catherine Zahou, 24 mai 1976.

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