On peut voir
au-dessus des rideaux, des raies de couleurs.
Violet-indigo-bleu-vert-jaune-orange-et-rouge. Autrefois, quand j’attendais ma
mère dans mon lit, elles étaient là, mais plus colorées, plus vives, maintenant
elles me semblent plus fades. J’attendais, sachant qu’il faudrait se lever pour
aller à l’école. Mais maintenant pourquoi ? Bon, aujourd’hui aurai
rendez-vous à la Muette. Donc se lever. Pas envie : debout froid miroir
habits marcher parler revenir lit à nouveau. Toujours la même musique. Ce qui
compte dans la musique c’est le mouvement ; les notes sans le mouvement,
c’est comme un regard aveugle. Mettre de l’appassionato dans ses actes. Bouger
le pied d’un endroit trop chaud du lit à un endroit plus froid pour simplement
avoir moins chaud. La même musique. On bouge pour un instant de soulagement qui
ne durera pas le temps de se rafraîchir vraiment. C’est comme de voir des
choses ou des gens nouveaux, ils sont nouveaux trois secondes et parce qu’on
est là, ils deviennent aussitôt usés et fades. La même musique : comment
sont les choses quand je ne suis pas là.
Lui dirai tout ça, il
écoutera admiratif passionné. Tu parles ! Son regard tourné vers autre
chose, comment savoir si même les sons qui sortent de ma bouche lui
parviennent. C’est comme si j’étais dans une vitrine, de l’autre côté d’une
glace, en train de former avec mes lèvres des mots qu’il regarde bouche bée
s’envoler en buée. Langage de muets : gestes précis, empreins d’une
signification précise, ou encore langage obscène, toujours le même, totalement
mécanique. Tout faire pour ne plus penser, ne plus avoir à inventer le mot
d’après. Donner la réplique, comme dans une répétition théâtrale : « Oui,
je t’écoute » - « C’est totalement vrai et senti » - Non. Si
c’est ça, ce n’est pas la peine. Ou il est con, ou il ment. De toute manière ce
ne sera pas drôle. Mieux vaut rester au lit. Personne n’attend, ou si on le
fait, c’est par ennui, pour le cul, par besoin de parler. De toute façon
impossible parler. Tu le sais, diras rien, écouteras, répèteras, perroquet. Ne
verras même pas, regarderas les affiches, comme si tu n’étais pas là. Dire
« c’est vrai / c’est faux », en tombant sur le temps
juste comme en solfège - question de tempo, toujours la même musique.
Se lever, se
maquiller, le miroir, ça donnera un genre, un visage, trop de noir ou alors
vulgaire. Serai femme peut-être. Sûr puisque cul. Non, pas femme, putain, mais
putain égale femme. Non, putain égale cul. Pas confondre. Serai cul, pas femme,
puisque femme féminine douce jolie, pas moi. Peut-être aussi homme. Maquiller
fatiguant, pas moi ce noir ce rouge cette joue cette poudre ces habits communs
à tous.
Dehors les
arbres sont calcinés et il ne passe qu’un méchant vent froid sur la terre
bleuie d’orties. On fait l’amour, mais c’est comme la guerre, le plomb dans les
ailes et les nerfs en boule. Pourtant certains obstinés, invisibles dans leurs
bandelettes parcheminées, vont, contre vents et marées, à la recherche de
quelque Chose qu’ils n’ont jamais connue, ou qu’ils ont oubliée.
Catherine Zahou, 24 mai 1976.
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