Le Livre d’Héraclite comportait, comme celui de Mallarmé, des
blancs, mais ils n’avaient pas la même valeur : pour ce dernier, il
s’agissait d’espacer la lecture, de lui ménager des pauses spéculatives ;
alors que, chez l’Obscur, ces lacunes marquent l’espace à venir. Dans un sens un peu
outré, il est à l’image du « feu toujours brûlant » et donc – un
« donc » qui ne relève pas d’un syllogisme – il peut continuer à se
transformer ad vitam aeternam. Si
ce Livre ne subsiste plus que sous forme de morceaux cités par divers lecteurs, à différentes époques, pour différents motifs (car on
ne cite jamais sans raison), comment ne pas reconnaître cette voix unique qui porte,
mieux encore que la Sibylle, à plus deux millénaires de distance ? C’est
pourquoi je suis tenté de traduire « logos » par « voix ».
Elle en a toute l’autorité, la vigueur, la franchise (« la franchise
première », dit Rimbaud). Bien sûr ce n’est surtout pas une voix, rien de
vocal, et c’est pourtant ce qui s’entend. Privilège et malheur du philosophe
qui n’a pas besoin de se connecter à la prochaine borne : il invente la
connexion universelle inaudible, intangible, invisible : une forme aigüe
de déliaison, de dissolution, qu’il appelle pour commencer l’analyse. Si le
lecteur survit à cette attaque aux points sensibles (ce à quoi personne ne
pense d’ordinaire), il est mûr pour tout entendre d’une autre oreille. Et cette
voix dit : Si tu m’écoutes, mais pas moi, juste ce logos, cette musique, (bien plus encore que logique), alors tu sauras que tous ne font qu'un.
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