Saturday, November 26, 2016

Les mendiants de l'Odyssée

LES MENDIANTS DE L’ODYSSEE

(Chant XVII, v.339 sq.)

Ulysse entre en mendiant. Télémaque – le seul à être dans le secret – appelle Eumée et lui tend un gros morceau de pain « avec autant de viande que ses deux mains, en coupe, en pouvaient contenir » tout en lui disant de donner à « l’étranger » (xenos) : « et dis-lui d’aller quêter de table en table, car la pudeur ne convient pas aux pauvres ».

« Il alla quêtant vers la droite de chaque convive tendant à tous la main comme s’il était un mendiant depuis longtemps. »

En guise de cadeau, Antinoos menace de lui lancer un tabouret à la tête. Ulysse s’écarte mais ne peut s’empêcher de l’insulter. Les lois de l’hospitalité reposent sur l’idée qu’un « étranger » et même un mendiant peut cacher un dieu ; l’arrivant, l’inconnu, il faut l’accueillir au nom des dieux. Antinoos, non seulement n’a aucun égard pour ces lois, mais en plus il manque singulièrement de jugement, puisqu’il aurait pu sans rien débourser donner ce qui ne lui appartenait même pas. Finalement, Antinoos lance le tabouret et Ulysse le reçoit « en pleine épaule droite », mais il reste sans broncher, ferme comme un roc, « sans mot dire, en hochant de la tête et roulant la vengeance au gouffre de son  cœur ». Les « deux mots » d’Ulysse en réponse à cette violence sont un appel aux redoutables Erinyes. Subir la violence quand on défend ses biens est dans l’ordre des choses ; mais quand le seul coupable à qui s’en prendre est la faim, « ce ventre misérable qui nous vaut tant de maux », alors « si, pour le pauvre aussi, les dieux et les Erinyes existent, qu’avant son mariage Antinoos arrive au terme mortel ! » (475-6).

Au chant XVIII survient un autre mendiant, un vrai, cette fois. Un professionnel pour ainsi dire : « le gueux de la commune », traduit Bérard quand Homère dit « pandèmios » (pan = tout, demos = « peuple ») : « Survint un mendiant, le gueux de la commune, qui s’en allait de porte en porte par la ville. Tout Ithaque admirait le gouffre de sa panse, où sans cesse tombaient mangeailles et boissons. Sans force ni vigueur, mais de très grande taille et de belle apparence, il s’appelait Arnaios [voir le verbe arneomai : nier, refuser] ; c’est ainsi du moins que sa mère l’avait nommé à sa naissance ; car tous les jeunes du coin l’appelaient Iros : il était leur porteur de messages. » (Iris est la messagère des dieux.) Iros enjoint à Ulysse de déguerpir ; Ulysse commence par lui dire de ne pas faire le jaloux : « ce n’est pas toi qui paies », et au besoin annonce qu’il saura se défendre : « tout vieux que tu me vois, je te défoncerai les côtes et les lèvres ».

IROS : « O ce que ce parasite parle en courant [trop vite] mais comme une vieille au fourneau, je m’en vais la travailler des deux mains, je vais lui faire cracher toutes ses dents à terre, comme on fait d’une truie… »

Le combat a lieu. Ulysse « se trousse », c’est-à-dire replie ses loques sur la ceinture, découvrant ses cuisses, puis ses larges épaules et sa poitrine et ses bras musclés (Athéna lui a rendu la jeunesse à la dérobée). Voyant cela, Antinoos prévient le vrai mendiant : « Si tu te laisses battre, je t’envoie chez le roi Echétos, fléau du genre humain ! d’un bronze sans pitié, il te tailladera le nez et les oreilles, t’arrachera le membre, pour le jeter tout cru, en curée, à ses chiens ». Iros tremble. Ulysse hésite : « allait-il l’assommer ? l’étendre mort d’un coup ? » Pour finir, il préfère frapper doucement pour ne pas laisser deviner sa véritable identité. Il le frappe au cou. Doucement, ça reste dans les limites homériques : « de la bouche d’Iros, un flot rouge jaillit ; en mugissant, il s’effondra dans la poussière, grinçant des dents, tapant la terre des talons » pendant que les prétendants se frappent les côtes en hurlant de rire… Puis Ulysse « le prit par un pied, le traîna hors du seuil, dans la cour, jusqu’aux premières portes ; il l’assit adossé au mur d’enceinte avec son bâton dans les bras » en lui donnant ce dernier conseil : « Reste ici, écarte de l’entrée les cochons et les chiens mais ne viens plus commander a

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