LES MENDIANTS DE L’ODYSSEE
(Chant XVII, v.339 sq.)
Ulysse entre en mendiant. Télémaque – le seul à être dans le secret – appelle
Eumée et lui tend un gros morceau de pain « avec autant de viande que ses
deux mains, en coupe, en pouvaient contenir » tout en lui disant de
donner à « l’étranger » (xenos) :
« et dis-lui d’aller quêter de table en table, car la pudeur ne convient
pas aux pauvres ».
« Il alla quêtant vers la droite de chaque convive tendant à tous la
main comme s’il était un mendiant depuis longtemps. »
En guise de cadeau, Antinoos menace de lui lancer un tabouret à la tête.
Ulysse s’écarte mais ne peut s’empêcher de l’insulter. Les lois de l’hospitalité
reposent sur l’idée qu’un « étranger » et même un mendiant peut
cacher un dieu ; l’arrivant, l’inconnu, il faut l’accueillir au nom des
dieux. Antinoos, non seulement n’a aucun égard pour ces lois, mais en plus il
manque singulièrement de jugement, puisqu’il aurait pu sans rien débourser donner ce qui ne lui
appartenait même pas. Finalement, Antinoos lance le tabouret et Ulysse le reçoit
« en pleine épaule droite », mais il reste sans broncher, ferme comme
un roc, « sans mot dire, en hochant de la tête et roulant la vengeance au
gouffre de son cœur ». Les
« deux mots » d’Ulysse en réponse à cette violence sont un appel aux
redoutables Erinyes. Subir la violence quand on défend ses biens est dans
l’ordre des choses ; mais quand le seul coupable à qui s’en prendre est la
faim, « ce ventre misérable qui nous vaut tant de maux », alors
« si, pour le pauvre aussi, les dieux et les Erinyes existent, qu’avant
son mariage Antinoos arrive au terme mortel ! » (475-6).
Au chant XVIII survient un autre mendiant, un vrai, cette fois. Un professionnel pour ainsi dire : « le
gueux de la commune », traduit Bérard quand Homère dit
« pandèmios » (pan = tout, demos = « peuple ») :
« Survint un mendiant, le gueux de la commune, qui s’en allait de porte en
porte par la ville. Tout Ithaque admirait le gouffre de sa panse, où sans cesse
tombaient mangeailles et boissons. Sans force ni vigueur, mais de très grande
taille et de belle apparence, il s’appelait Arnaios [voir le verbe arneomai : nier, refuser] ;
c’est ainsi du moins que sa mère l’avait nommé à sa naissance ; car tous
les jeunes du coin l’appelaient Iros : il était leur porteur de
messages. » (Iris est la messagère des dieux.) Iros enjoint à Ulysse de
déguerpir ; Ulysse commence par lui dire de ne pas faire le jaloux :
« ce n’est pas toi qui paies », et au besoin annonce qu’il saura se
défendre : « tout vieux que tu me vois, je te défoncerai les côtes et
les lèvres ».
IROS : « O ce que ce parasite parle en courant [trop vite] mais comme
une vieille au fourneau, je m’en vais la travailler des deux mains, je vais lui
faire cracher toutes ses dents à terre, comme on fait d’une truie… »
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