Saturday, April 24, 2010

Tort-tue


Retour à la religion — de Derrida, tel était peut-être ce à quoi m’appelait la tortue de ce matin, qui m’a aussitôt rappelé le nom du restaurant où ledit Derrida nous avait emmenés déjeuner (nous : MFM et son invitée, JD et la sienne), « Le Tortue », au masculin, soutenait-il, ce qui m’avait aussitôt rappelé le (mauvais) jeu de mots que fait le (mauvais) steward dans L’Oreille cassée : LE TORT TUE… (« C’est un jeu de mots. Tort… tue, tortue ! Vous avez compris ? » insiste-t-il avant de tomber nez à nez sur le capitaine qui n’a pas l’air content du tout.) Auparavant, il en avait lâché une bien bonne sur le nom propre du voleur du fétiche : « D’ailleurs… ceci entre nous, n’est-ce pas, ce n’est pas un homme. Non. Ni une femme. C’est… une omelette. » ?? font les deux comparses qui n’ont rien capté. Le steward (qui n’a pas de nom) enfonce donc bien le clou : « Ah ! ah ! ah ! Elle est bien bonne ! Et savez-vous pourquoi ? Parce qu’il se nomme Tortilla, et qu’en espagnol ce mot signifie… » mais il a compté sans le fait que ses interlocuteurs parlent espagnol « nativement » : « Omelette, c’est vrai ! Ah ! vieux farceur ! » et son compagnon de renchérir : « Toujours lé mot pour rire ! »
Cette tortue n’était-elle pas un signe des dieux ? (Puisqu’ils ne communiquent qu’en signes, un peu comme les sourds-muets entre eux.) Un signe m’indiquant quel chemin ? Quand je suis revenu une heure plus tard, la tortue avait disparu. Il paraît qu’elles peuvent filer à toute allure, plus vite qu’Achille disait déjà Zénon. Mais où pouvait-elle bien être passée ? De tous côtés excepté vers la rue, il n’y a que des palissades ou un grillage. Peut-être suis-je aussi à ma façon une tortue ? Immobile et apparemment inamovible jusqu’à ce qu’on réalise qu’elle s’est évanouie sans crier gare ? Elle n’avait pas touché à mes deux feuilles de laitue (pourtant organique). Elle avait les yeux jaune-orange, un regard mauvais et aussi inquiétant que celui de l’igname qui venait me visiter chaque matin sur les rochers devant la terrasse du bungalow que nous avions loué sur l’île des Femmes au large de Cancun. Là encore, j’aurais dû comprendre qu’il m’avertissait, ce serait le dernier voyage heureux avec mes trésors encore enfants. Et moi le père indigne (mais n’est-ce pas un pléonasme ?) qui m’obstinait bêtement à re-copier puis re-déchirer une lettre d’amour imaginaire, je revois encore maintenant les morceaux coincés dans une anfractuosité (beau mot) des rocs où l’iguane venait prendre son bain de soleil matinal. N’est-ce pas aussi un peu la faute à D. si je me suis égaré dans cette Double Vie qui fut plus qu’un tort-tue, un DEAD END mot-nu-mental ? Qui a entraîné toutes les autres : même ma dénonciation du « tournant » religieux dans « la » déconstruction restait timide et comme « respectueuse » (adjectif appelant irrésistiblement le substantif « putain »). Je m’en prenais bien à l’inepte « création verbale » (invention de nouvelle cuisine) de la « mondialatinisation » (qui prouvait au moins que Derrida n’a jamais rien compris à l’Amérique, ne serait-ce que pour avoir ignoré qu’il y en a plus d’une), mais je continuais à défendre une religion spectrale, une « religion sans religion » copiée sur la « structure » logique x sans x grâce à quoi Blanchot s’est fait encore plus blanc qu’un spectre… (Peut-être en rapport avec le spectre du communisme qui tous continue de les hanter en Europe ? Au fond, ils en sont restés deux siècles en arrière ?)
Donc il faut faire sans rien, ni dieu ni maître, ni cure ni curé. Commencer par foutre tous les divans à la rue, et les distribuer aux « indésirables » qui n’ont jamais pu se payer le luxe d’avoir des complexes. Il faut faire rien qu’avec les moyens du bord, comme s’il n’y avait jamais rien eu d’autre. Plus la désolation s’étend, plus il faut tenir lieu de sol, se forger une solidité à toute épreuve. Car il y va bien d’une ultime expérience, qui met en jeu jusqu’à la possibilité a priori de l’expérience : [à suivre…]

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