Puisque j'ai évoqué le fragment sur "l'attente" dans mon commentaire précédent sur "la recherche", autant le citer en entier tel qu'il est dans mes Fragments du Même toujours en chantier:
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DK B18, M 11. Clément, Stromates, II, 17, 4.
ἐὰν μὴ ἒλπηται ἀνέλπιστον οὐκ ἐξευρήσει, ἀνεξερεύνετον ἐὸν καὶ ἂπορον.
« Si tu ne
t'attends pas à être contrarié dans tes attentes, tu ne découvriras rien, étant donné que ce n'est pas cuit d'avance et sans apories majeures. »
Saisir la rythmique de la phrase : double négation,
deux fois sur un mode différent, d’abord un μὴ adapté à la nature virtuelle de l’attente, ensuite une
négation simple puisque portant sur la découverte actuelle ; pour aboutir
à une double affirmation mais de termes négatifs (privatifs). Le fragment
énonce une seule chose, simple et difficile à la fois : la condition pour
trouver, c’est de s’attendre à être contrarié dans toutes ses attentes ;
ce qui ne veut pas dire que la recherche soit désespérée - il n’y a pas
vraiment de place pour l’espoir ou le désespoir dans la manière de penser des
Grecs. Ou alors, comme dans le mythe de la boîte de Pandore, il est perçu comme
un fléau terrible, qui engendre – forcément
– le désespoir et la ruine. Espoir introduit une notion morale et même
religieuse : une croyance au progrès, ou au moins, une sortie du
désespoir.
Le fragment pose à l’horizon de la recherche un point
inaccessible mais, dans un langage kantien, régulateur : ἂπορον nomme bien
la difficulté de trouver par où passer,
là où il n’y a pas de passage déjà marqué, pas de passerelle. ἀνεξερεύνετον n’est pas ici le complément du verbe « trouver » (ἐξευρήσει), mais son attribut. Le verbe reste intransitif. Ce qu’il faut trouver,
c’est un chemin pour parvenir à « la chose », laquelle reste de
l’ordre d’une aporie. Celle-ci ne se révèle pas tant dans l’impossibilité
d’aller au-delà de la limite que dans celle de la trouver. L’aporie n’est pas une impasse dont on ne pourrait jamais sortir ; c’est
plutôt une situation difficile, dont on ne se sort que difficilement parce que les
voies, les chemins de traverse ne se trouvent pas en vue ; il faut les
trouver d’abord. C’est
un peu ce que redira Descartes avec son
Discours de la Méthode : la méthode (le chemin qui va au-delà de tous les chemins battus) compte plus que toute découverte
faite au hasard.
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