Monday, October 24, 2011

Un peu profond ruisseau calomnié

Ces cadavres ambulants me font la leçon, de l’autre côté de l’océan, renforçant encore mon dégoût pour toute « culture » (européenne ou pas), mon horreur de plus en plus prononcée pour ce qu’ils appellent l’Histoire —allemande ou française, peu importe : le cauchemar des deux derniers siècles. C’est quand même là que la triste fiction du « peuple » a pris naissance. J’y pensais tout en marchant le long de la rivière Cumberland, un peu profond ruisseau calomnié la mort, alors que le ciel se couvrait : si toute l’Europe disparaissait du jour au lendemain, cela me ferait-il réellement quelque chose ? Je ne le souhaite pas, surtout si c’est pour se faire bouffer par les milliards de « petits » Chinois convertis à la pollution sans limites du « marché » — et j’aurais préféré qu’elle prît une autre voie, un autre cap, mais la chute du Mur n’a fait que précipiter sa dilution dans la morosité blafarde, le ressentiment dans toute son horreur : ses plus beaux jours sont derrière elle, sans l’ombre d’un doute. D’ailleurs, à quoi bon revisiter ces siècles de folie pour réciter une nouvelle fois le catéchisme confectionné par le maître-queue Hegel dans les cuisines du Château ? L’Histoire est une création surgie tout armée de la cuisse du philosophe« total », acharné à lui donner un sens — ce qui finit par me donner la chair de poule.

Qui croit encore aujourd’hui que le destin soit la politique ou même l’ « Esprit » ? Deux fléaux qu’il faudrait dresser en gibet sur la place publique. Reste à voir quelle place publique il y aurait encore. Mon différend avec les Européens vient de ce qu’ils tiennent encore à un Etat, sans jamais savoir faire la différence entre les hommes et les choses, les « qui » et les « quoi », sans parler évidemment des animaux. « Peuple », « nation », « race », « ethnie » : autant de constructions identitaires meurtrières équivalentes aux idéologies. Seul l’Ouvert a lieu d’être, et c’est ce qui est partout pourchassé, liquidé, ou muséifié, vitrifié.

extrait de "Autoportrait aux yeux fermés", 2007.

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