Friday, October 7, 2011

Virage du temps (revolutionnite)


« Virage du temps. » Belle formule, et qui n’engage à rien, puisque le temps ne nous appartient, si jamais, qu’un temps limité, autant dire jamais entièrement et donc au fond pas du tout. S’il tourne, on dirait plutôt qu’il tourne au vinaigre. Ne peut-on lire dans le journal (sur internet) l’admirable protestation du président russe, ex-patron du défunt KGB, contre la tentation américaine de vouloir exporter par la force la « révolution capitalistico-démocratique » ? Oui, on le lit, et personne ne semble avoir eu d’infarctus. Comme si la révolution avait fait un tour complet, sauf qu’elle ressort la tête en bas, plongée dans un puits de pétrole brut. Qui a jamais cru à l’exportation de la « démocratie », depuis les conscrits de l’an II ? Et d’ailleurs, la démocratie n’est pas forcément pour tout le monde… A supposer même qu’on puisse la tenir pour un modèle exportable, il faudrait d’abord l’avoir définie, arrêtée—et comment arrêter ce qui demeure à venir ? C’est pourtant ce qui a lieu sous nos yeux, ce qu’on appelle le « présent » : no future. Et de fait je n’ai plus le temps de vous parler. L’ai-je jamais eu ? J’aurais pourtant aimé vous parler de ce dont je ne peux parler maintenant, au futur qui fut un jour. A défaut, vous faire entendre les oiseaux hurleurs, ou vous faire manger des poissons à la framboise sur canapés d’écureuils. Vous montrer des images sans la moindre trace d’humanité (au singulier, au pluriel, ou à la sauce humanitaire). Des images sans personne. Des blancs partout, même une piscine noyée sous la pluie noire de palmiers échevelés, en Floride une nuit d’hiver. Nous sommes peut-être venus à un instant du temps, et du monde, où tout s’efface. Il n’y a plus aucune histoire, identité, nature qui tienne, il n’y a plus que la vitesse d’effacement, jusqu’à ce que nous saisissions, en un éclair, que l’effacement, c’est nous, c’est notre seule histoire, identité et même nature. Nous sommes l’effacement, l’effacement est notre être.

source: fin de www.writingwithoutwriting, translation in french by MFM, Leeds, U.K., 2003.

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